D’abord le texte et ensuite le commentaire. Un petit détail avant de commencer. Victor Hugo a vécu la mort tragique de sa fille Léopoldine, emportée par le mascaret et il accomplit tous les ans ce pèlerinage individuel.
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends
J’irai par la forêt j’irai par la montagne
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Bon vous avez le texte intégral sur internet. Douze vers au total.
Mais avec cette première strophe on en a suffisamment pour commencer l’explication détaillée du texte. Après vous continuerez tout seul, comme un grand que vous êtes.
Victor Hugo exprime la décision de partir pour un pèlerinage sur la tombe de sa fille.
Suivons le, mettons nos pas dans ses pas.
1er vers ; on note la progression du départ. Il ne s’agit pas de partir comme un fou. Et puis un pèlerinage c’est une marche sacrée. Une cérémonie.
On a donc d’abord un simple mot : « demain » et ensuite trois mots : « dès l’aube ». Avec une notion qui sera encore précisée dans le troisième pas de ce géant des lettres. Cette notion, c’est « l’aube », tous les sacrements sont donnés à jeun. Et si possible au petit matin. L’aube signifie la blancheur, c’est le moment qui précède le lever du soleil. Le mot est important dans la liturgie catholique. Mais le troisième pas du poète ajoute encore un aspect du paysage matinal : « l’heure où blanchit la campagne ». D’abord « l’heure » et la campagne, terme vague, mais suffisamment expressif pour que chacun y mette son paysage personnel. On remarque surtout le verbe « blanchit », avec inversion de l’ordre habituel des mots. (inversion du sujet). On note que le pas s’allonge, après que Victor a pris la mesure de l’événement qui l’attend. Mais ce n’est pas tout, VH nous gratifie d’un rejet : « je partirai ». Et ce n’est pas employé pour rien. C’est naturellement que Victor a recours à des figures de style.
2ème vers : le ton devient confidentiel, c’est comme un chuchotement (vois-tu je sais). Et, en même temps l’expression est lourde de sens. Il y a une communication entre sa fille et lui, un dialogue avec la mort. Et une harmonie suprême. (tu m’attends et je le sais). Hugo, après la mort de sa fille, a cru au spiritisme, il a fait tourner des tables. Il est devenu un médium.
3ème vers : On note la répétition de « j’irai » qui est plus qu’une forme d’insistance. J’irai marque l’espoir d’arriver à un but. En plus cette expression reprend « aller par monts et par vaux ». Cette tournure date du 15ème siècle. Elle introduit une nuance d’éternité dans le temps. Et l’espace défini par les monts et les vaux est illimité. Mais ce sont surtout deux mots qui doivent retenir notre attention : « la forêt » et « la montagne ».
La forêt, c’est le lieu de perdition, là où règne Satan, « prince des ténèbres ». Et la montagne, c’est toujours, plus ou moins dans la religion catholique, « le Golgotha ». C'est-à-dire un lieu de souffrance, puisque c’est la passion du Christ. La passion, étymologiquement, c’est la souffrance, on retrouve ce sens dans le « patient », le malade qui souffre. Mais la montagne, toujours par rapport au Christ, c’est une épreuve qui permet de gagner l’accès au paradis. Aller par la forêt et aller par la montagne, c’est donc risquer de se perdre, et tenter l’ultime épreuve qui permet l’accès (le retour) au Jardin d’Eden. Et on arrive au vers 4.
4ème vers : celui sur lequel on pense d’abord qu’il n’y a rien dire. Mais avec Hugo, la méfiance est de rigueur. Alors vous l’avez vu, le petit mot qui se cache sous une apparente banalité ? Oui, c’est bien « demeurer ». Ce mot allonge le temps, le fait durer. Comparez avec « rester ». « Demeurer » c’est la « demeure », c’est être là « à demeure ». On s’arrête longtemps quand on demeure. Bien plus longtemps qu’avec « rester ». Je sais que vous êtes grand maintenant, vous continuez tout seul…