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24 octobre 2015 6 24 /10 /octobre /2015 10:10

L’idée selon laquelle la simplification du droit du travail serait de nature à faire baisser fortement le chômage est une antienne du patronat qui n’est pas confirmée par les faits. Aucune étude économique disponible, y compris dans les organismes internationaux, ne permet d’établir un lien direct entre la protection de l’emploi et le niveau de chômage. Le FMI a lui-même admis récemment que « la réglementation du marché du travail n’a pas, selon l’analyse, d’effets statistiquement significatifs » sur la productivité et sur la croissance (Perspectives de l’économie mondiale, avril 2015). En réalité, le chômage résulte d’abord de l’insuffisance des carnets de commandes des entreprises, insuffisance dont les politiques macro-économiques d’austérité salariale et budgétaire sont les premières responsables, puisqu’elles font baisser la demande en comprimant le pouvoir d’achat.

Dans le même temps, on voit bien que l’emploi connaît actuellement une véritable mutation. Pour certains, l’« ubérisation de l’économie » annonce à terme la fin du salariat. Bonne ou mauvaise nouvelle ?

Ce n’est pas encore la fin du salariat, mais l’économie numérique (Uber, Airbnb, BlaBlaCar, etc.), fondée sur des plates-formes d’intermédiation entre consommateurs et prestataires, a de toute évidence le vent en poupe. La preuve en est qu’elle a déjà réussi à faire « disruption » dans des professions variées, des restaurateurs aux hôteliers et aux chauffeurs de taxi. On en connaît le principe : financement participatif, main-d’œuvre toujours moins chère car dépourvue de toute protection (les employés sont des contractants individuels), réduction des coûts de transaction, digitalisation de l’économie, recours systématique aux logiciels libres, à la géolocalisation, aux algorithmes et autres big data. Cela séduit des auto-entrepreneurs, fondateurs de start-up, qui espèrent gagner très vite beaucoup d’argent. L’ubérisation s’inscrit, de ce point de vue, dans la tendance au présentisme. Mais il faut en voir la contrepartie.

Le numérique est à la société postindustrielle ce que l’électrique a été à la société industrielle. Cependant, l’économiste Robert J. Gordon a bien montré que la révolution numérique n’a pas la même force de traction que les grandes innovations du passé, comme l’électricité ou l’automobile. C’est essentiellement une économie de prestation de services à bas prix mais à faible valeur ajoutée, qui ne produit ni nouveaux biens, ni hausse de croissance significative, ni progression du pouvoir d’achat.

La « théorie du déversement » chère à Alfred Sauvy ne fonctionne plus dans le cadre de l’économie numérique, et il en va de même de la théorie de la « destruction créatrice » popularisée par Schumpeter. Le numérique tend à remplacer les emplois peu qualifiés à caractère répétitif, en particulier les tâches nées de la bureaucratisation qui a accompagné l’avènement de la société industrielle et qui sont aujourd’hui occupées par la classe moyenne. Mais les emplois créés par le numérique ne se substituent pas à ceux qu’ils font disparaître, notamment les intermédiaires. On estime à trois millions le nombre d’emplois qui pourraient être détruits par la numérisation dans les dix ans qui viennent, principalement dans les services. Là encore, on va vers des emplois toujours plus précaires, gages de destins fragmentés.

Extrait de : Entretien avec Alain de Benoist

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