Le chômage est au coeur du discours, mais ne l'est pas dans la pratique politique. Au contraire, il est instrumentalisé pour tenter de justifier toutes les mesures les plus rétrogrades portant atteinte aux droits sociaux considérés jusque-là comme les mieux établis.
La prétendue « lutte contre le chômage » dissimule notamment la généralisation de la précarité (y compris dans le secteur public). Elle est conjuguée avec une sorte de sacralisation de l'Entreprise dotée de toutes les « vertus » à qui toutes les libertés doivent être reconnues et tous les moyens attribués parce qu'elle serait la source de tout progrès, y compris social. Il en serait ainsi de la croissance qui quasi-mécaniquement conduirait à la résorption du chômage (1).
Toutefois, le constat dans toute l'Europe du non-recul du chômage conduit à des positions plus subtiles des forces dominantes (direction des grandes firmes, droite conservatrice et fausse «gauche»).
La position la plus simpliste est de faire croire qu'il faut un fort taux de croissance pour qu'il y ait baisse du chômage : nul ne tient compte des progrès de la robotisation, des jeux des filiales délocalisées, de l'évasion fiscale conduisant au non-réinvestissement, etc. auxquels les grandes firmes ne veulent pas renoncer. On avance le rôle « primordial » des PME-PMI, prétexte traditionnel pour légitimer les mesures antisociales qui bénéficient aux grands groupes.
On va jusqu'à « oublier » le thème de la croissance en invoquant les « lourdeurs » du droit du travail et la complexité du Code du Travail, qui devient facteur décisif du chômage !
Certains juristes, parmi les plus éminents (2), se croient - étrangement - dans l'obligation de porter assistance au gouvernement (et à son opposition) en soutenant cette thèse (quasi-totalement ignorée des économistes) : la complexité du droit du travail serait à l'origine du chômage puisqu'elle handicaperait l'embauche ! A peine publié, d'autres (3) se portent au secours du rapport Combrexelle qui propose « l'institution d'une règle faisant prévaloir les accords collectifs préservant l'emploi sur les contrats de travail, dans l'intérêt général et l'intérêt collectif des salariés ».
Cette pensée qui se veut « moderne » apporte surtout confirmation du fait, comme le souligne A. Supiot, que « l'analyse juridique se ferme trop souvent à l'univers des faits » et que le capitalisme traite à toute époque (croissance et récession) le travail comme un produit marchand, facteur le plus simple d'ajustement à ses besoins exclusifs.
Qui peut nier, en effet, ce que rappelle B. Thibault, que dans 40% des entreprises de plus de 11 salariés, il n'y a aucune représentation du personnel. Et dans 29%, il y a des représentants mais sans étiquette syndicale, soit 69% des entreprises sans présence syndicale, avec des interlocuteurs isolés de toute approche collective(4), autrement dit en position d'extrême faiblesse face aux employeurs.
Il est vrai que les politiciens et nombre de juristes, dans le confort de leur carrière, n'apprécient pas le syndicalisme, particulièrement la CGT, et que, pour eux, la lutte des classes n'est qu'une invention qui n'est plus reconnue comme une réalité permanente que par quelques « dinosaures » de la pensée sociale et de la militance syndicale !
Alors qu'ils dénoncent ce qui ne relèverait plus, à la rigueur, que du XIX° siècle ou du début du XX° siècle, ils apportent des réponses aux problèmes d'aujourd'hui qui ressemblent fort à celles du temps passé !
Les menaces qui pèsent sur le Code du Travail ne sont qu'une nouvelle étape de la régression générale du droit du travail depuis des décennies. Désormais, il s'agit de rejeter la loi, comme source majeure du droit du travail, au seul profit du contrat, tout en mythifiant la négociation entre employeurs et salariés et en lui attribuant toutes les vertus de la « liberté ».