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23 janvier 2016 6 23 /01 /janvier /2016 10:15

Quand je me suis présenté à la caserne de Romorantin, (BA 273), je n’ai pas été bien reçu. Le commandant de la place m’a fait des remarques désobligeantes. Il m’a très mal accueilli : « Alors mon gaillard, déjà en retard ! » Il a ajouté : « Que ça ne se reproduise pas ! Sinon vous me ferez huit jours… ». Ensuite il m’a donné des précisions sur mon retard. J’ai vu, bien qu’il fût apparemment brut de décoffrage, qu’il avait un minimum d’instruction. Il aurait pu entrer dans la catégorie des SLEC (Sait Lire Ecrire et Compter). Il m’a dit exactement : « On vous avait envoyé un ordre de mobilisation en 52 avant Jésus Christ ! Je n’avais jamais vu un retard pareil ! » J’ai voulu répondre avec pertinence, j’ai essayé de lui dire que les artistes vivaient hors des contingences temporelles. Mais j’ai vu que je l’avais vexé. A cause du vocabulaire que j’employais. Le commandant n’avait jamais fréquenté d’artistes. Il ignorait le sens des mots. Je n’ai pas cherché à l’humilier. Alors j’ai expliqué que j’avais musardé, que j’avais fait la guerre buissonnière. Mais j’étais un des plus anciens combattants et j’avais participé à pas mal d’empoignades qui avaient provoqué un nombre considérable de cadavres. J’en citai quelques unes parmi les meilleures. La guerre des Gaules, les Chansons de Gestes du Moyen Age, qui se chantaient la gueule ouverte en jouant du cor de chasse. Je me souviens très bien d’un félon, un nommé Ganelon, qui avait trahi Charlemagne, l’empereur à la barbe fleurie. Résultat, les Sarrasins, c’était le nom des anciens arabes, avaient massacré l’arrière garde. Et Roland, très en colère, n’avait pas pu se retenir de briser une montagne avec sa Durandal, une épée de l’époque. Ensuite je m’étais habitué à l’huile bouillante qu’on se ramassait sur le crâne, quand on partait à l’assaut des châteaux forts. Et puis j’avais assisté de près aux campagnes de Jeanne d’Arc. Mais sans enthousiasme, vu qu’elle était secondée par Gilles de Rais, qui se rendra célèbre sous le nom de Barbe Bleue, et qui avait pris l’habitude de massacrer des petits enfants. Cependant, le commandant de la place de Romorantin (BA 273) faisait la gueule. Il écoutait distraitement. Il me répétait sans arrêt : « ça n’est pas une excuse valable… et puis cessez de me raconter des sornettes. Où étiez-vous pendant qu’on s’étripait à Fontenoy ? Avec Messieurs les Anglais ? Où étiez-vous pendant les campagnes de Napoléon ? » J’eus beau lui répliquer que j’arrivais toujours en retard, forcément, je tenais à parfaire ma préparation militaire, et je voulais arriver à la caserne tout en étant au top ! Le commandant me fit une remarque qui prouve qu’il était soucieux de conserver la langue française et qu’il n’était pas aussi abruti qu’on aurait pu croire : « Je ne comprends pas le mot « top »… C’est un anglicisme ? ». Le commandant insistait toujours sur l’été 1939 : « Où étiez-vous ? Vous n’avez pas répondu à ma question ? Et début août 1914 ? » Alors, pour voir où en était ma formation militaire, le commandant me posa cette ultime question : « De quoi sont les pieds du fantassin? ». Il fallait répondre : « Les pieds sont l’objet de soins constants de la part du fantassin… ». Ainsi je ratai la première guerre mondiale et la seconde également. Je sens comme une énorme lacune. Je crois que je ne m’en remettrai jamais…

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