Mon grand-père était désolé à cause du gaspillage. Surtout, il ne comprenait pas qu’on pût abandonner tous ces cadavres mous dans les tranchées. Mon grand-père disait : « c’est comme si on laissait partir le gibier quand il est blessé ».
Et il ajoutait souvent des formules désobligeantes en direction de la nation allemande. Ses expressions pourraient passer aujourd’hui pour insultantes : « …les sangliers, c’est des cochons comme les boches… les sangliers c’est des cochons sauvages… y a pas à revenir là-dessus. »
Et mon grand-père s’en tenait à cette règle de morale.
« Encore si les boches étaient trucidés par des arabes, ce serait accepté par le grand public… ». Car mon grand père était très respectueux en matière de religion. Il avait lu le Coran et jusqu’à la dernière sourate. Il transformait les mots, ah ! il en avait derrière la ceinture de flanelle, mon grand père ! Il prononçait sourate comme biroute, c’est d’ailleurs ce qui lui a fait du tort pour obtenir la Légion d’Honneur. Quand on lui demandait la capitale du Liban, il répondait invariablement « Biroute ». Et il ajoutait : « Il faut respecter les préceptes d’Allah ! ».
Il avait coutume de répéter cette phrase délicieusement respectueuse des principes de la religion : « Il faut jamais chier sur un tas d’hosties… jamais chier dans une sacristie… jamais chier dans une mosquée, sinon quand les fidèles ils arrivent pieds nus, ils se tartinent de la merde sur les talons… et ils glissent sur le chemin du paradis… Il ne faut jamais pisser dans un ciboire. Ca peut donner un mauvais goût à la religion, quand on mâche le pain azyme, et vous dégoûter à tout jamais des choses sacrées… et quand les enfants de chœur boivent en douce le vin du cureton, ça peut leur communiquer une méningite cérébrospinale…»
Comme il prononçait « pinale » au lieu de « spinale », Dieu manifestait un vif mécontentement. L’essentiel si on veut aller au paradis un minimum de politesse et une onction extrême sont nécessaires. Il faut respecter les règles de grammaire et les accords du participe passé…
De même mon grand-père disait : « Si vous faites un sandwich à la viande de boche, évitez de saigner un natif de Munich… ça porte malheur ! »
On pourrait le confondre avec Adolphe Hitler…
Mon grand-père redoutait les épidémies, qui sont le résultat de la promiscuité.
Et comme il parlait dans sa barbe de poilu, il articulait plus difficilement et ça donnait « promise cuitée ». Il a eu beaucoup d’ennuis avec ce détail de prononciation.
Les Femen de l’époque le harcelaient sans arrêt.
Et pour tout dire elles venaient dans les tranchées pour tenter de lui couper les couilles.
Mais mon grand-père les voyait venir de loin.
Quand il apercevait la « Madelon », il lui envoyait pas dire deux fois. « Et moi si tu continues à chatouiller mon pantalon, Madelon, je t’enfonce mon couteau à zigouiller les boches en plein dans ta motte velue… ».
Et après je te ferai le coup de l’opération des ovaires. Et tu viendras plus tortiller ton cul autour des vaillants défenseurs de la mère patrie.
Et alors les « fumelles » (c’est le mot qu’il employait, je ne fais que transcrire le lexique viril de mon grand père), les fumelles se tenaient à carreau.
Et mon grand père concluait avec sa sagesse coutumière :
« Ah c’est pas les pédés ni les gonzesses qui vont faire la loi. »
Et il avait raison, mon grand père. Il faisait et il appliquait les lois lui-même et tout le monde s’en trouvait mieux. Parfois il criait : Vive l’anarchie !