La fidélité de Léon Blum à son milieu bourgeois, son modérantisme et sa haine contre les Rouges avaient pour ressort l’appartenance de classe. Le niveau élevé de ses revenus n’offrait pas seulement un « argument facile » à ses adversaires mais ressortait des rapports de police factuels. « M. Léon Blum », notèrent en juin 1932 les Renseignements généraux de la Préfecture de police en citant « certains services de la Banque de France [,…] a récemment retiré d’importants capitaux du Crédit lyonnais pour les placer dans différentes banques de Genève. Les dépôts du leader socialiste en Suisse se monteraient actuellement à près de quarante millions »[8] ‑ soit plus de 24 millions d’euros actuels.
Preuve de malveillance ou d’antisémitisme? D’une part, les RG généraux fournissaient cette information technique sur tous les hommes politiques, y compris les communistes, qu’ils détestaient mais créditaient d’une honnêteté transparente. Seuls les dirigeants et élus du PCF voyaient la rubrique : « situation de fortune » systématiquement ainsi remplie : « : néant » ou « : vit du produit de son travail »[9]. La quasi-totalité des autres, y compris à gauche, se voyaient attribuer des revenus élevés, un fort enrichissement, souvent, quand ils n’étaient pas nés riches, et un patrimoine dont leurs électeurs populaires ne soupçonnaient pas l’importance.
D’autre part, les juifs riches n’étaient pas les seuls à frauder le fisc, comme le montrent les rapports de police[10], et le scandale public de novembre 1932 révéla l’évasion fiscale vers la Suisse banale chez tous les riches de toutes confessions ou athées. L’exportation française des fortunes et capitaux fuyant l’impôt était dans l’entre-deux-guerres considérable : Sébastien Guex évalue pour 1932 au chiffre d’« au moins » deux milliards de francs français, soit 400 millions de francs suisses et deux fois plus que les estimations courantes, « les montants […] extrêmement élevés échapp[a]nt à l’imposition française ». Le dossier en fut partiellement dévoilé à la Chambre des Députés, le 10 novembre 1932, par le socialiste Fabien Albertin : « on […] trouv[ait] le gotha de la société française » (à majorité catholique) dans « les documents saisis lors des perquisitions [qui] perm[ir]ent d’établir une liste d’un peu plus de mille noms de personnes impliquées. Une partie [seulement] de ces noms [fut] diffusée: trois sénateurs, une douzaine de généraux, deux évêques, d’anciens ministres, des grands industriels, comme la [protestante] famille Peugeot, ou encore la [très catholique] famille Coty, propriétaire entre autres de l’influent quotidien Le Figaro » et généreux bailleur de fonds des ligues. Les « démarches […] musclées contre la fuite des capitaux en Suisse » tentées par le fugace cabinet Herriot (juin-mi-décembre), d’audace déjà défaillante, ne survécurent pas à sa chute[11].