Paris et Londres appartiennent, expliquent madame Hidalgo et mister Khan, à ce réseau des « villes-monde » (c'est une impropriété syntaxique qui piétine les règles du français, mais c'est plus chic que le terme géographique de «villes mondialisées», au programme des classes de quatrième). Une dizaine de grandes capitales appartenant à des pays développés (ou à des zones développées dans des pays qui le sont moins, comme Shanghai ou Mumbai) constitue l'« archipel mégalopolitain mondial » – j'aime assez qu'il y ait « mégalo » dans cette appellation. Les invitations à y entrer sont lancées, mais pour Lagos, qui est pourtant la ville la plus peuplée au monde, ce n'est visiblement pas pour demain.
Et nous ? Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grade, habitants de Marseille ou de Trifouillis-les-Oies, Français extrêmement périphériques, comme dit le géographe Christophe Guilluy (le compte rendu de son excellent livre est à lire ici), nous qui nous levons le matin pour faire la queue à Pôle emploi, nous qui n'avons pas de chauffeur dans notre vieille voiture, et qui irons désormais à pied ou en métro parce que le maire de Paris (je tords le cou à quiconque dira « la » maire) vient d'interdire les voitures d'occasion, nous qui risquons de mal voter aux prochaines élections, et même de courir à l'émeute si on nous confisque encore le droit de renvoyer chez eux tous ces politiciens satisfaits, que devenons-nous ?
J'ai écrit par ailleurs, il y a quelque temps, que Paris était un mirage. Une ville qui n'existe pas. Une fiction. Non la capitale d'un pays, mais une étoile dans la constellation des «villes-monde ». D'ailleurs, de pays, d'États, de nations, il n'y en a plus. Hugo parlait des « États-Unis d'Europe » – mais ils nous ont fait l'Europe sans les États, une Europe unie par le réseau des places boursières. Et ils s'étonnent que l'on récuse ce continent désincarné, où ceux qui souffrent, ceux qui ne parlent pas le globish articulé à Bruxelles, sont rejetés dans des périphéries oubliées de Dieu et des politiques.
L'école de Charles-Édouard et celle des « compétences »
Prenez Mme Vallaud-Belkacem. Elle sort de la Rue de Grenelle (7e arrondissement – pas le plus pauvre de la capitale !) dans une voiture aux vitres teintées, parcourt des rues parfaitement propres, voit des gens heureux et bien vêtus – et vêtus à l'occidentale –, des enfants qui s'appellent Charles-Édouard ou Sophie-Prudence, et pour eux d'ailleurs, elle a autorisé toutes les dérogations à sa réforme du collège qui ne concernera vraiment que… nous, nous, les petits, les obscurs, les pauvres, les sans-dents. Nous à qui on interdit dorénavant une école de qualité, une école française où l'on apprendrait la langue et la culture françaises. L'Europe nous a vendu l'idéologie des « compétences », qui est juste l'art de péter avec des cons, et qui n'a aucun rapport avec une vraie culture, avec de vrais savoirs, avec un vrai enseignement. Nous avons refusé Maastricht, on nous l'a imposé. Les politiques sont outrés lorsque le peuple s'exprime – forcément, il y a derrière de vilains hommes avec de vilaines pensées – c'est cela, le « populisme ».
Eh bien, en vérité, je vous le dis : à Bruxelles comme à Londres ou à Paris, ils devraient réviser les programmes d'histoire, que l'on n'a pas encore tout à fait vidés de leur contenu, et se rappeler ce qui est arrivé au marquis de Launay, gouverneur de la Bastille. On peut tromper le peuple un certain temps, mais pas tout le temps.
Jean-Paul Brighelli