La trilogie se présente comme une chronique de la France d’aujourd’hui. On y suit plusieurs personnages, généralement à peine esquissés, tous transsexuels, drogués, tatoués, ratés tristes et revanchards, qui gravitent autour de Vernon Subutex, un ancien disquaire à qui une star de rock a confié un enregistrement révolutionnaire avant de mourir, et qui va plus ou moins devenir le DJ et le gourou d’une sorte de secte de débiles qui cherchent à atteindre l’extase par la danse. Suspecté d’avoir détourné de l’argent, Subutex quitte la communauté, vexé. Dans le tome précédent, un producteur soupçonné d’avoir assassiné une actrice porno, Vodka Satana, avait été agressé par sa fille, Aïcha, une musulmane pratiquante, et une amie de celle-ci. À présent, celui-ci se venge. Voilà à peu près l’histoire résumée.
Dans son monde enchanté, la société française est dirigée par les nazis
Les lecteurs de Virginie Despentes sont convaincus que leur auteur fétiche est “dérangeante”, quand elle ne fait que dérouler la doxa d’époque sur tous les sujets, et encore le fait-elle avec moins de subtilité que la plupart des médias qui savent s’arrêter juste avant de percuter le réel et d’anéantir leurs positions dogmatiques. Despentes, elle, au grand bonheur des taquins, n’a pas de frein. Elle fonce tête baissée comme un taureau, et le lecteur éprouve alors la divine émotion du toréador frôlé par 500 kilos de bêtise et de méchanceté.
Ainsi, dans son monde enchanté, la société française est dirigée par les nazis : ils sont sur Internet, à l’école privée (on y fait réciter Mein Kampf aux élèves), dans les médias, à gauche, partout ! Les bourgeois sont les pires. Ils considèrent les Noirs comme des singes, veulent éliminer les « pédés », pensent que « la place des femmes est à la maison, et qu’il faut corriger celles qui sortent » (sic !). Ils font croire qu’ils aiment les belles choses alors qu’ils « savent ce qu’ils font lorsqu’ils meublent leurs appartements […] : chaque objet ici hurle à l’attention de ceux qui ne sont pas habitués au luxe : dégage de là sale prolétaire ». Ils ont inventé la laïcité « pour emmerder les immigrés » et soufflent sur les braises de l’islamophobie pour détourner l’attention des pauvres. Et le terrorisme islamiste ? Circulez, y a rien à voir ! Les tueurs du Bataclan se sont « inspirés des films et des jeux de Hollywood » et « aucun des assassins n’était pratiquant ». Quant aux motivations profondes, là encore, rien à voir avec l’islam. Les terroristes sont simplement des humiliés qui se vengent comme ils peuvent : « Les Blancs veulent avoir le droit d’humilier les Arabes. Ils l’ont toujours fait. Ça fait bizarre de penser que maintenant c’est l’inverse. » On sent que le “bien fait” des enfants n’est pas loin !
(…)
La fin du roman* vire carrément au sublime. La bande de ratés, drogués, etc. se fait en effet décimer dans un attentat à la grenade et à la kalachnikov commis… par une jeune patriote ! Une fille qui a décidé de massacrer « les jouisseurs et les dépravés » car elle abhorre « l’agonie démocratique […], la France moribonde, blessée par le métissage et la dissolution des moeurs. L’absence de foi. De droiture ». Bref, une catho-facho ! Chroniqueuse extralucide de la France d’aujourd’hui, Virginie Despentes réussit cette gageure de peindre les islamistes en victimes et les catholiques en terroristes. Chapeau l’artiste.
(*) "Vernon Subutex 3"