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1 juin 2019 6 01 /06 /juin /2019 10:07

Des employés de Cora ont été licenciés pour avoir refusé de travailler le dimanche. L'économiste et statisticien Thomas Coutrot, spécialisé dans les questions du travail et auteur de Libérer le travail, publié aux Éditions Seuil en 2018, décrypte les ressorts de cette affaire.


Pourquoi ces licenciements suscitent-ils autant de réactions ?

Ces licenciements abusifs posent la question des abus de pouvoir dans l’entreprise. Le contexte est particulier : les ordonnances Macron ont plafonné depuis fin 2017 les indemnités prud'homales pour licenciement abusif entre 1 et 20 mois de salaire brut. L’idée était de sécuriser les licenciements pour inciter les embauches. C’était un argument libéral qui, d’ailleurs, n’a jamais été argumenté par des études. Dorénavant, les entreprises savent qu’elles peuvent aller devant les tribunaux sans payer trop cher. Certaines calculent même à l’avance les amendes. Cette réforme a renforcé l’arbitraire patronal.

 

Finalement, le véritable problème posé par cette affaire est l’abus de pouvoir...

Exactement. Dans la plupart des grandes surfaces, les relations de travail sont empreintes d’autoritarisme. Il est rare que les plannings soient auto-organisés par les caissières. Ils sont planifiés par la hiérarchie. Pourquoi les salariés ne bénéficient-ils pas de bourses d’horaires pour s’organiser en fonction de leur famille ? C’est très rare. Ces abus de pouvoir sont une constante dans notre pays, surtout dans les PME qui fonctionnent encore de façon très paternalistes. Selon l’étude européenne sur les conditions de travail de 2015, le management français est le plus autoritaire d’Europe, avec l’Espagne, la Grèce et l’Italie.

 

Dans votre ouvrage Libérer le travail vous écrivez que 10% des Français sont exposés à un risque de dépression sévère, plus spécialement les « professions mal reconnues » ou « mal rémunérées » comme les caissières. Ce phénomène est-il nouveau ?

Les salariés de Cora font partie de ces 10% de Français. Il y a bien sûr l’aspect répétitif et physique de leur travail, mais surtout, ce qui a évolué, c’est leur manque d’autonomie. Elles sont sans arrêt sous surveillance. Leurs caisses sont suivies en temps réel par des systèmes informatiques qui tracent le nombre d’articles qu’elles saisissent. À la fin de chaque journée, leur hiérarchie sait combien d’articles sont passés entre leurs mains et à quelle cadence. À cela, il faut ajouter la multiplication des temps partiels, les salaires très faibles et le sentiment d’inutilité social qui va en grandissant. Fragilisés, ces employés sont sujets au harcèlement.

 

Sur les réseaux sociaux, des syndicats ont évoqué un retour à des conditions de travail du XIXe siècle. Assiste-t-on aujourd’hui à un recul des acquis sociaux ?

Oui. Mais ce recul n’est pas l'assouplissement du travail dominical qui reste, encore une fois, marginal. Il est matérialisé par la précarisation des contrats de travail. Les dernières enquêtes montrent une augmentation exponentielle des CDD et des contrats d’intérim. À cela, il faut ajouter la multiplication des restructurations dans les entreprises et la fonction publique. Cette flexibilisation du travail, que les politiques publiques appellent de leurs vœux depuis 30 ans, donne le sentiment d’une régression majeure. Et cela accroit le sentiment d’insécurité général des Français.

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