Tout le monde a le Bac, mais l’illettrisme progresse de manière assez hallucinante. On voit fleurir sur les réseaux sociaux des extraits de copies de Bac et on hallucine un peu sur la perte du français qui opère jusqu’en Terminale.
Le Bac n’a plus aucun sens dans la mesure où certains candidats arrivent en Terminale sans maîtriser totalement le français.
Jean-Paul Brighelli : "Ce n’est pas en Terminale que cela se décide. Depuis une trentaine d’années, on a laissé courir les exigences depuis le CP.
Lors du brevet des collèges qui vient d’avoir lieu, il y avait une question de grammaire qui consistait à transformer un nom féminin en pronom. Au lieu de ‘’je mange la soupe’’, il fallait dire ‘’je la mange’’. La consigne écrite était qu’on accepterait comme bonne réponse ‘’là’’ ou ‘’l’a’’. Quand on en est là en fin de troisième, vous comprenez bien que ce n’est pas en seconde, en première ou en Terminale que l’on va se réconcilier avec l’orthographe.
J’enseigne en prépa et je vois des choses absolument hallucinantes.
Je me fiche pas mal que les élèves sachent écrire « ornithorynque ». Ce n’est pas un mot qu’on écrit tous les jours.
Ce qui a capoté complètement c’est l’orthographe grammaticale. Cela fait des années qu’on n’enseigne plus la grammaire. Les pédagos ont dit : « on va enseigner la grammaire à l’occasion de ce qu’on trouve dans un texte ». Ce n’est ni coordonné ni systématique. On est dans une débâcle absolue.
Quand on laisse tomber une langue au niveau de l’éducation, c’est qu’on a laissé tomber une nation au niveau politique. Nous sommes identifiés à notre langue. Je rappelle que tout pays se définit par la langue qu’il parle. En France, la langue officielle est le Français et non le bloubi-boulga qu’on a fini par accepter non seulement dans les banlieues chaudes, mais un peu partout.
Certains inspecteurs ont fini par dire « laissez tomber, ce qui compte c’est la spontanéité à l’oral ».
Or, l’oral en français est le point le plus contestable de la réforme Blanquer du Bac. Désormais, il est prévu deux épreuves écrites et un grand oral à partir d’un projet. Cela va favoriser de façon évidente les gens qui ont tété la grammaire et le vocabulaire avec le sein de leur mère. Il est évident que les classes les plus populaires et fragiles vont être tout à fait déstabilisées par l’exercice.
J’ai moi-même formé des gens pour des concours d’éloquence. Ces gens avaient au départ des capacités d’éloquence, mais pas forcément la culture et l’habitude qui va avec. Il a fallu totalement les reformer. Elles n’étaient que deux, alors imaginez avec toutes les classes de tous les lycées de France. Comment va-t-on former 35 élèves à la prise de parole intelligente ?
Que l’on mette une telle insistance sur l’oral dans les concours comme Sciences Po ou l’ENA signifie en clair que cette fois-ci, ce sont vraiment les enfants de cadres supérieurs divers et variés qui vont faire des performances. Les autres auront de bonnes intentions et d’excellentes idées, mais ils n’auront pas le code linguistique.
On voit immédiatement, en entendant les propos de votre interlocuteur, si cette personne est cultivée. Je ne m’écoute pas au moment où je parle, mais je sais que 80 % de mes phrases sont grammaticales. Si vous écoutez ce qui se dit dans la rue, cette statistique tombe à 20 %. Si vous écoutez ce qui se dit dans des banlieues déshéritées, elle tombe à zéro."
C’est tout le problème de la violence qui est favorisée par l’incapacité à s’exprimer avec des mots.
Jean-Paul Brighelli : "C’est valable dans toutes les langues. J’avais une collègue, professeur d’anglais qui au lieu de faire lire à ses élèves de 3e des extraits remaniés de journaux anglais, les faisait travailler sur Roméo et Juliette. Elle leur faisait apprendre des morceaux entiers y compris des injures de Roméo et Juliette.
Elle avait remarqué, qu’utiliser ces injures très littéraires au moment de la récréation, les élèves étaient passé du coup de poing dans la gueule et du coup de front sur le nez à quelque chose qui était directement du second degré très littéralisé. Il y a un art de l’apostrophe.
Quand vous conduisez et que le mec vous traite de connard, c’est la limite sud de son vocabulaire. C’est le même mécanisme que vous avez dans les réunions de supporters dans un stade. « À mort l’arbitre ». La syntaxe s’arrête-là !
Il est évident que la pédagogie de ces dernières années consistait à privilégier l’oral spontané. Il n’a fait qu’encourager la destruction systématique, au sens programmé, de la langue."