Mai 68 me surprit à Tours, ville universitaire. Souvenir éblouissant d’interminables discussions politiques, avec des maoïstes staliniennes, des trotskistes approximatives et des n’importe quoi d’un bon niveau.
Nommé à Châteauroux et toujours affilié à l’Ecole Emancipée, je fus, comme les autres « camarades », chargé de distribuer le tract du docteur Carpentier, illustré par Wolinski. Il s’intitulait sobrement « Apprenons à faire l’amour » et comportait un descriptif des principales zones érogènes. Je me souviens du graphique montrant la marche inéluctable vers l’orgasme quand on avait suivi les cours : il s’agissait de tenir la notice d’emploi de la main droite et de pratiquer le « tâtonnement expérimental » de la main gauche.
En dehors de ces curiosités, ponctuées de nombreux « Jouissez sans entraves », mai 68 n’est pas responsable de la dégradation ahurissante de l’enseignement en France aujourd’hui. C’était même exactement le contraire. Les slogans de mai 68 partaient en guerre contre l’intrusion de la marchandise à l’intérieur de l’école.
C’est après que la catastrophe eut lieu. Bien après ! car, dans les années 70, c’est la contestation mais pas le désordre. Les élèves sont conscients, intéressés. On n’entre plus en rangs, on fume parfois en classe. C’est joyeux et décontracté. Vient alors le 10 mai 81 et le projet de Savary (Alain), ministre honnête, deux mots qui vont devenir incompatibles.
Savary est viré au bout d’un an.
Hélas les élèves, les parents, les profs, sont subjugués par Jack Lang et Johnny Hallyday, la culture française atteint des sommets. Les élèves commencent à ne plus savoir lire : c’est bon signe, signe que le niveau monte !
Les « marques » deviennent alors indispensables, on évalue le prix des « rentrées ». Car on appelle encore « rentrées » les mouvements de foule qui consistent à parquer les jeunes dans les établissements scolaires. 1985 : le niveau a encore monté ! l’intelligence va-t-elle noyer les Français ?
Inquiétude, ça monte encore en 1990 ! Avec l’informatique les textos, les SMS, les « djeunes » apprennent enfin la météo touristique avec la formule suivante : « fébo, fépabo ? » Le goût pour l’orthographe devient carrément hystérique. Enfin, en 2006, 83 % des candidats obtiennent le Bac. Doit-on noyer les 17% qui restent ?
Une nouvelle filière se développe : la prison, où le commerce de la drogue se fait en toute quiétude. L’opium devient la religion du peuple. Karl Marx est dépassé !
Tout va bien. Les lycéens sont enfin entièrement sponsorisés. Je me retourne vers les années 60 et j’observe l’incroyable décadence de la culture française : la France est enfin une colonie des USA !
Mais les jeunes, eux, sont avant tout les victimes de cette situation, où on leur a menti effrontément sur leur niveau réel, sur la nécessité de l’effort, qui est en même temps un plaisir qui ouvre la voie à tous les autres.
Pour ma part j’aurai occupé dans l’Education Nationale tous les emplois de second ordre : des classes réputées mauvaises aux enseignements en détention. Je ne souffre pas exagérément d’avoir échappé aux « honneurs ». Mais je suis triste de voir l’état lamentable de l’Education Nationale, la veulerie de nos dirigeants, la soumission absolue au règne de la marchandise qui a fait de l’école, en France, une sorte de rouage de la grande distribution.
Je suis sorti de l’Education Nationale, définitivement, en 2005, mais je n’ai pas dit mon dernier mot !
Rolland HENAULT (dans "Articles" Volume 2)