Depuis plus de 58 ans, on l'appelait « Madame Céline », preuve du respect, presque de la déférence, que l'on accordait à cette ancienne professeur de danse au destin hors du commun. En 1935, elle n'a que 21 ans quand elle croise l'écrivain déjà auréolé du succès du Voyage au bout de la nuit et qui s'apprête à publier Mort à crédit. Coup de foudre ! Seule la mort les séparera, celle de Louis-Ferdinand en 1961. Elle est tellement pressée de le rejoindre que sur sa tombe, elle fait graver « Lucette Destouches, 1912-19… » Mais Dieu ne voulait pas d'elle ! Lucette Almanzor (son nom de scène, ou Almansor, son nom de jeune fille) s'est éteinte finalement ce vendredi matin chez elle à Meudon, à l'âge de 107 ans.
Lucette Destouches était également la dernière survivante de la petite colonie de Français qui, à l'automne 1944, gagna Sigmaringen, cette ville du Bade-Wurtenberg où s'était replié le gouvernement en exil du régime de Vichy. Son mari y soigna avec dévotion et sans compter son temps les maux de ces milliers d'irréductibles repliés dans une ville trop petite pour leur offrir l'hygiène et le confort minimum. Le docteur Destouches en fit un livre, D'un château l'autre, sous le nom de Louis-Ferdinand Céline. Elle forma avec son mari, et leur chat Bébert qui ne les quittait jamais le noyau dur de ces irréductibles soutiens du gouvernement de Vichy vivant en vase clos avec Pétain, Laval, Brinon, Otto Abetz.
Femme de celui qui fut un écrivain adulé et célébré avant la Seconde Guerre mondiale, elle refusa de l'abandonner dans les années 1950 quand Louis-Ferdinand Céline dut expier ses errements collaborationnistes. En dépit de ses 18 mois de détention à Copenhague de 1945 à 1947 puis de 6 ans d'exil au Danemark, elle ne le quitta pas d'une semelle et continua de veiller sur son grand homme. Ensemble à leur retour d'exil, ils emménagèrent dans une maison du style Second Empire à Meudon. Lucette donnait des cours de danse au premier étage tandis que l'écrivain noircissait inlassablement ses cahiers dans son petit bureau du rez-de-chaussée. Elle fut la première lectrice de la trilogie allemande D'un château l'autre, Nord et Rigodon dernier livre qu'il acheva le 1er juillet 1961 quelques heures avant de pousser son dernier soupir.