La situation est grave. Au théâtre du Rond-Point, le censeur Ribes ne peut plus présenter son insolence conforme et son rire de résistant subventionné. Au théâtre de la Colline, on ne verra plus de spectacles qui questionnent sur les questions, et qui dérangent sans rien déranger. Dans les centres dramatiques, et leurs clones estampillés DRAC, l’indigénisme et le décolonialisme sont à l’arrêt, les descendants des esclaves, opprimés mémoriels, vont-ils s’en remettre ? Les gays ne peuvent plus représenter comment ils ont découvert, un jour, qu’ils frémissaient au passage d’un individu du même sexe, et les indécis du genre s’interroger scéniquement pour savoir s’ils sont hommes ou femmes. Dans les gynécées culturels, les spectacles sur la parité ou la domination patriarcale sont annulés, et les autrices femmes n’écrivent plus sur des problèmes de femmes pour un public de femmes, bénéficiant d’un pack-femme pour trois spectacles. Et célébrant migrants, clandestins et sans-papiers, une adaptation de la vie de Cédric Herrou a dû être reportée. Les humoristes France Inter ne rient plus, et l’on se demande déjà si la soirée parisienne des fleuristes, rebaptisée Soirée des Molière, pourra avoir lieu ou si elle sera décentralisée à Béziers.
Dans les musées d’art contemporain ou les FRAC, lieux toujours vides, même sans virus, il n’y aura pas ces soirées de vernissage où se retrouvait, selon l’expression de Nicole Esterolle, « une étrange confrérie, bras verbeux de l’idéologie esthétique bureaucratico-financière mondialisée ».
Hélas, tout ce monde de la culture, suspendu par la queue à la poutre des subventions, ce monde où la liberté d’expression est celle d’un perroquet des DRAC sur son perchoir ministériel, tous ces porteurs d’une culture formatée, d’un théâtre qui « fait sens et humanité », tous ces colporteurs des poncifs du temps et des vérités du journal de 20 h, tous ces censeurs de l’art authentique, celui qui est vivant et libre, découvrent soudain le goût de la censure et le malheur d’être interdit de public. C’est le retour du cinéma muet et de la scène culte de l’arroseur arrosé.