En 1969, il lance avec le « gaulliste de gauche » Marcel Loichot, fondateur entre autres de la Sofres (institut de sondages), le Club Bleu, une centrale d’achats et de services pour les consommateurs adhérents. Deux ans plus tard, face à l’échec du Club Bleu, les deux partenaires fondent le Grand dépôt, un des premiers magasins à prix réduit (discount) de France. Faute d’une rentabilité suffisante, la faillite sera prononcée en 1972...
Bien décidé à rebondir et ayant apprivoisé les « procédures collectives », Bernard Tapie devient dirigeant des opérations de vente d’appartement de vacances en multipropriété (Maillot 2000).
Sa cagnotte reconstituée, il lance en janvier 1975 Cœur Assistance et Cœur Assistance distribution (« Le seul échec de ma vie » selon l’intéressé) : les 350 malades cardiaques adhérents étaient assistés en cas d’incident par une ambulance et une moto. L’opération sera stoppée après la mort d’un des malades (pourtant secouru) et le dépôt de bilan sera déposé en juin 1975...
En 1977, il rachète le casino de Luc-sur-Mer (Calvados). L’agrément du ministère des Finances lui ayant été refusé, il revend l’établissement à un groupe d’investisseurs. Il se toume alors vers l’industrie, où il va se tailler un empire, avec l’apport de Jean-Louis Borloo, futur « chevalier blanc » de Valenciennes, et divers syndics. Grâce à sa « science » de la Loi sur les faillites de 1967, des procédures peu connues en France comme le leverage-buy-out et l’appui de banques comme la SDBO (Crédit lyonnais) dirigée à l’époque par Pierre Despessailles, il rachète d’abord des entreprises dans le domaine de l’imprimerie : Doverger, Diguet-Deny, Sapap, Brochage-express, etc.. Suivra l’épisode rocambolesque du rachat des propriétés et biens de l’ex-empereur de l’Empire centrafricain Jean-Bedel Bokassa (annulation de la vente).
Le « Zorro de l’industrie » va ensuite racheter La Vie Claire (diététique, revendue en 1992 à Pierre Botton, gendre de Michel Noir), Testut (pesage), Terrallion (pesage), L’Herbier de Provence, Toshiba France (avec Georges Tranchant qui a par la suite porté plainte contre Tapie), Soleillou, Tournus (revendu à Seb), Donnay (raquettes, revendu à Carbon Valley), Trayvou, Wrangler, Léonard, Soubitez, AMAP, Karo, Ferme Saint-André, Grès production parfums, Vivalp, Look...
Grâce à Look, société de fixations de ski installée à Nevers et rachetée en 1983, il se fera un obligé du nouveau maire Pierre Bérégovoy, qui n’a, depuis lors, cessé de le soutenir, en particulier auprès des banques.
"Disons que la gauche a permis le phénomène Tapie, en m’ouvrant les robinets. Avant, j’étais tricard, interdit de télé, de rendez-vous avec les banquiers ou les fonctionnaires des Finances (...)" (Libération, 11 avril 1986)
Sur les « conseils éclairés » de Jacques Séguéla, qui le présente à François Mitterrand, Bernard Tapie se lance en politique fin 1987. Il avait pourtant déclaré en 1984 : « Le jour où je ferai de la politique, je serai baisé comme les autres. » Invité régulier d’Anne Sinclair dans l’émission Sept sur Sept, il dénoncera le « lepénisme » et vantera les mérites du « mitterrandisme » quelques jours avant l’élection présidentielle de 1988.
Sur instruction directe de Jean-Louis Bianco, à la demande du président de la République François Mitterrand, Tapie est alors parachuté à Marseille avec l’étiquette « Majorité présidentielle » pour affronter Jean-Marie Le Pen dans la 6e circonscription. Son directeur de campagne sera Gérard Bismuth, responsable de la communauté juive de Marseille.
Bernard Tapie faillit d’ailleurs ne pas être candidat, n’étant ni électeur dans la circonscription ni inscrit sur une liste électorale (on trouvera après coup une « jurisprudence »). Son adverse, l’UDF-PR Guy Tessier, que Tapie traitera de « crapule raciste » (il sera condamné) ne l’emporte que de 84 voix le 12 juin 1988. Battu, Tapie rate ainsi son entrée au gouvernement de Michel Rocard. Toutefois grâce à la diligence du cacique socialiste Charles-Emile Loo, il obtient l’annulation du scrutin. Comme « représentant de la société civile », il est finalement élu le 29 janvier 1989 avec 623 voix d’avance. Son seul document politique de campagne sera une photo le représentant avec sa famille sous la légende «Marseille unie»…
Le 17 juillet 1990, en utilisant habilement la presse dans un « raid médiatique », ce « jongleur financier » (dixit la presse allemande) prend le contrôle du groupe allemand Adidas.
En mars 1991, Pierre Mauroy, premier secrétaire du PS, déclare à propos de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) : « Si Bernard Tapie le décide, il sera un excellent candidat, le meilleur que nous puissions avoir pour gagner la région. »
Il bénéficie dès lors d’un soutien sans faille des socialistes. Alors qu’il est l’objet d’enquêtes de la brigade financière et que plusieurs responsables de l’OM sont interrogés par la police, Michel Rocard l’assure du « soutien attentif et total tant de l’Élysée que de Matignon ». Peu après, il sera suspendu le 28 janvier 1991 par la Commission nationale de discipline du football sportif pour « manquements graves à la morale sportive, propos injurieux à l’égard des arbitres, menaces proférés contre les mêmes et tentatives d’intimidation »... Depuis juillet 1991, il fait également l’objet d’une demande du parquet de Marseille auprès de la Chancellerie pour l’inculper pour les comptes de l’OM.
Rédigé en 1992, ce portrait (résumé) de Bernard Tapie par Emmanuel Ratier suffit à comprendre le personnage. Prédateur arriviste prêt à toutes les magouilles pour « réussir », le « libéral » Tapie incarne parfaitement le changement d’époque opéré en France dans les années 80 : l’individualisme forcené et l’impunité financière qui illustrent son parcours annonçaient déjà les désastres de la mondialisation pour le peuple français. Et si son itinéraire restera comme le symbole d’une époque où l’argent est devenu roi, il nous dévoile encore plus les véritables rois de cette époque : littéralement tenu par ceux avec lesquels il a pactisé, Bernard Tapie passera les trente dernières années de sa vie empêtré dans les affaires judiciaires, entre procès, condamnations et incarcérations d’un côté et reconversions foireuses dans le culturo-mondain de bas étage (films, séries télé et pièces de théâtre minables) de l’autre. Une déchéance relativement masquée par le bling-bling, la gouaille facile et une victoire en Coupe d’Europe de foot, mais une déchéance tout de même…