Je me levai vers huit heures, comme d’habitude (formule d’un chanteur surexcité dont le succès reste pour moi une énigme). Je revenais à la vie, sans entrain, en cherchant à me rappeler quel jour on était. On était un lundi et je me demandais maintenant comment j’allais éviter les commentaires des veautants qui avaient la veille désigné leur maître.
Cela fait quarante ans bien sonnés que je suis indifférente à toutes ces joutes, comme l’étaient avant moi mon père, son père et le père de son père. Et l’on pourrait remonter comme ça jusqu’au début du suffrage universel.
La tradition familiale veut qu’on se serve soi-même plutôt que de choisir celui qui se servira à notre place. Les plus affranchis de mes aïeux appelaient ça la reprise individuelle. Les autres ne donnaient pas de qualificatifs puisque des magistrats s’en chargeaient pour eux : grivèlerie, vol à la tire, faux et usage de faux, vol aggravé…
Je suis donc parfaitement instruite sur les manières d’arnaquer ses concitoyens, même si dans ce domaine mes parents se considéraient plutôt comme des amateurs comparés aux banquiers et aux hommes d’Etat.
Par précaution, les tribunaux leur avaient retiré leurs papiers d’électeurs mais c’était bien inutile puisqu’ils n’avaient pas l’intention de s’en servir. L’indignité nationale en a même frappé quelques-uns, ce qui me flatte a posteriori. Parce que la dignité d’un pays qui vote pour son bourreau me foutrait plutôt la honte.
Alors à l’intention de l’escroc remonté sur le trône, je n’ai qu’une chose à dire : « à d’autres, mais pas à moi. »