Tu es assise à la croisée
Et tu regardes l’horizon
Comme dans les anciennes années
Quand j’ rentrais tard à la maison
J’ m’ suis payé un p’tit détour
Je n’ai pas très bien tenu parole
Mais tu vois je suis de retour
Maman c’est moi qui r’viens d’ l’école.
Et toi tu as toujours trente ans
Tout comme dans les années quarante
Immobile au milieu du temps
Je presse ta main rassurante
Elle s’est un peu parcheminée
Et tes yeux font des reflets gris
Comme en fait dans la cheminée
La cendre du feu qu’on oublie.
C’est vrai tu m’as montré le jour
Comme on lève le rideau d’une scène
Et je m’ demande certains jours
Si ça en valait bien la peine
La pièce n’était pas fameuse
On y pataugeait dans le sang
L’orchestre y jouait d’ la mitrailleuse
On y marchait tambour battant.
Sûr que je suis pas très normal
Mais tu me comprendras maman
C’est mon cordon ombilical
Qui s’est pas coupé complèt’ment
Et je m’ balance au bout bêt’ment
Comme un jouet au bout d’une ficelle
J’ suis l’ téléphone en dérangement
J’entends plus ton signal d’appel.
Heureus’ment y a des spécialistes
Pour tous les cas comme le mien
Ils diront qu’ c’est l’ complexe d’Oedipe
Et qu’ tout ça se guérit très bien
Tu es assise à la croisée
Et tu regardes l’horizon
Maman guéris-moi d’ mes années
J’ te retrouve plus dans la maison.
Derrière le carreau d’ la croisée
Ton visage s’efface et se perd
J’aurais voulu t’accompagner
Dans ce voyage vers la poussière
Au loin dans la cour familière
Ta voix n’est plus qu’une rumeur
Il me semble que l’on m’opère
De mes entrailles et de mon coeur.
Rolland HENAULT