Donc, les Français ont voté pour leurs exploiteurs, ils ont « veauté », car les Français sont bien des veaux, d’ailleurs de Gaulle le déplorait également. Alors, pas de démagogie, les électeurs étaient parfaitement libres de voter différemment.
Au fait, j’ai dit les « électeurs » ? Oui, c’est à dire que j’ai parlé de ceux qui se sont réellement rendus dans les bureaux de vote. En gros, ça fait 60% de la population inscrite sur les listes électorales. Vous avez donc 40% de Français récalcitrants, et je ne parle pas des personnes qui ne se font même pas connaître auprès des services compétents.
Ça fait pas grand monde, finalement, ces 60% de votants. C’est même presque moitié-moitié avec ceux qu’on nomme les « abstentionnistes » et c’est là que je voulais en venir.
Qu’est-ce qu’un « abstentionniste » ? Le petit Robert est d’abord très sûr de lui, c’est « une personne qui ne vote pas, un partisan de l’abstention ». Mais c’est un mot qui apparaît pour la première fois au milieu du 19ème siècle. Il vient de « abstention » : action de s’abstenir de faire quelque chose, et l’abstention remonte à 1840. Toutefois, avant cette date, on connaissait « l’abstinence », depuis le… 12ème siècle, l’abstinence, qui a la même origine, le latin « abstinentia », et d’autre part, le toujours latin « abstinens » : « privation volontaire de certains aliments pour des raisons religieuses ou médicales ».
Or, on nous présente volontiers l’abstention comme un manque de civisme, ou un oubli involontaire, de la part d’un esprit un peu étourdi et superficiel.
C’est un mensonge. Les abstentionnistes (et l’on a raison de marquer cette attitude par le suffixe « iste », qui en souligne le caractère volontaire, et à la limite du militantisme) sont probablement des personnes plus conscientes, plus réfléchies, que les votants. Des personnes qui ont plus ou moins confusément compris que le vote était une escroquerie au langage, que, quel que soit le résultat, il n’aboutirait jamais, dans l’état où sont les Français, à un changement réel de leur situation.
C’est pourquoi les lignes qui suivent, malgré leur caractère apparemment léger, sont peut-être plus sérieuses que vous ne le pensez à première lecture.
Voici donc le raisonnement. L’abstentionniste est celui qui s’abstient. De voter, notamment, mais pas seulement, il s’abstient des plaisirs de la bonne chère (« bonne chère » : bon visage, à l’origine, bon accueil) et en particulier des aliments qui font plaisir. L’abstentionniste est un « abstinent », qui « boit et mange avec modération » (Robert). L’abstinent ?
Il pratique l’abstinence, qui n’est pas loin de la « continence », laquelle est la privation volontaire de tout plaisir charnel, comme dit toujours si poliment le petit Robert. Bref, l’abstinent ne baise pas, ne mange pas de bonnes choses, ne boit pas d’alcool.
Je serais d’avis que l’on ne parle plus d’abstentionnistes, mais «d’abstinents ». Ce serait plus exact. Ceux qui ne vont plus voter, ce sont ceux qui n’éprouvent plus de plaisir à participer à la vie politique, ceux que la politique ne fait plus « bander ».
Je crois que c’est à la fois grave et encourageant. En effet, devant l’immense escroquerie que constitue l’élection, l’élection avec sa propagande et ses mensonges monstrueux, ce n’est plus même ce que Coluche appelait « une érection pestilentielle ».
Un député, un ministre, un président, ça n’excite plus l’électeur, et d’ailleurs, même quand ça montre son cul dans la presse dite « people » (car le mot « peuple » n’existe plus) personne ne s’en inquiète vraiment.
Moralité : l’avenir est probablement à ceux qui s’abstiendront de la politique « politicienne ». A ceux qui « banderont » (le mot n’est pas vulgaire, c’est l’exploitation du peuple qui est vulgaire) pour une société complètement différente.
Il n’y a plus de « bandaison » possible, je veux dire d’espoir, dans la société capitaliste libérale. Ces élus sont des couilles molles, des dictateurs mous, et ça doit être facile à abattre. Allez, au travail, on va bien rigoler.
Rolland HENAULT ("Articles" Volume 2 - Editions de l'Impossible)