J’ai reçu un choc. Un choc artistique. Comme ça n’arrive pas tous les jours. Le précédent remonte à dix ans et c’est le chanteur Orelsan qui l’avait provoqué avec son « Chant des sirènes ». Hélas depuis, le show biz lui a mangé le cerveau et son inspiration a fondu sous les feux de la rampe.
Dix ans avant, je découvrais Claude Semal en concert à Chatou (78). Un grand chanteur qui s’est « préservé du succès », comme dit Sarcloret. Et heureusement pour lui ! Parce que le show biz broie les talents, exploite des employés-artistes qu’on enchaîne aux tournées comme des forçats. Les rares vedettes qui s’en sortent claquent la porte avant qu’il soit trop tard.
Mais revenons au sujet, à ce nouvel élu dans mon panthéon portatif. Il s’appelle Nicolas Jules. Facile à retenir. Et son site internet on le trouve du premier coup. Là vous pourrez commander son dernier CD et regarder ses vidéos, très bien ficelées. Mais pour apprécier toute la saveur des chansons, c’est l’album qu’il faudra écouter.
Nicolas Jules est un garçon qui prend son temps. Il a de l’imagination à revendre mais ne tient pas à s’enrichir, comme il écrit dans la chanson « Fuir ». Et où part-il comme ça, le joli Nicolas ? Dans des amours imaginaires qui le décollent du sol et lui inspirent une poésie pleine d’invention et de fantaisie :
« Viser le soleil / donner de la voix et du cœur à l’ouvrage / se donner de la peine pour se donner de la joie / aller de l’avant pour ne courir après rien / ruer dans les brancards / filer à cent à l’heure » (Ne pas compter)
A ces femmes qu’il poursuit, il adresse un langage sans niaiserie, plutôt recherché, exigeant, loufoque aussi, audacieux. Les images fourmillent de partout :
« Dans le brasier sentimental / mon cœur tournait sur ton métal / tu me déplumais la caboche / m’enfilais sur ta broche » (Pays de cendre)
« Méfiez-vous / te disait ton thérapeute / cet homme est un créateur d’émeute / on se reverra quand ta colère ne frappera pas plus fort qu’un battement de coeur » (Ta colère)
« Moi ça n’est que le vent que je serre dans mes poings / et dans mes yeux la brume / ma guitare est un chien que je descends du train / mon coeur est une enclume » (Records)
Quand il retombe dans le décor de la vie, Nicolas, il croise un tramway, un lavomatic et des photocopieuses mais sur son désespoir il tire le voile du sourire : « Quand je danse / toi / ah ah / tu tues ». Nicolas Jules a choisi de ne pas nous faire pleurer et prend à son compte l’expression de Raymond Queneau : « On n’inscrit pas pour assombrir la population ».
Mais arrêtons-nous là : détacher les paroles de la musique et de la voix ampute le talent, surtout quand cette musique échappe à toutes les classifications. Celle de Nicolas se marie au texte de façon confondante, je pense qu’elle doit surgir en simultané pour l’épouser aussi bien.
Notez enfin que c’est un Yéti qui donne le titre au CD et je ne vous dirai pas comment il apporte son concours à l’album.
Nicolas écrit, joue, chante, réalise, mixe et finance ses disques. Il est accompagné par des musiciens qui ne viennent pas pour camoufler les paroles. Cette petite société d’artistes indépendants et passionnés m’a réconciliée avec le genre humain.