Je m'aperçois aujourd'hui que j'ai tout simplement raté la fête des pères !
II y avait pourtant matière à réflexion ! On pouvait partir de l'étymologie, "le pater" latin, "pater familias", le chef de famille. Ici, les critiques commencent à pleuvoir puisque le "paternalisme" est une manière de « commander avec une bienveillance autoritaire et condescendante ». Ce fut la doctrine d'Henri Ford, qui considérait donc ses employés comme ses enfants. Belle escroquerie au langage puisqu'on retient l'idée chaleureuse de "famille", alors qu'il vaudrait mieux se souvenir que l'enfant n'est pas un adulte. Il n'a donc pas vraiment le droit à la parole.
Dans la famille chrétienne, on dit "Dieu le père" et c'est alors lui le Créateur et la première personne de la Trinité. Le fils, vous connaissez l'anecdote, largement colportée dans le Nouveau Testament, est condamné à des épreuves sportives particulièrement redoutables, et sans dopage « Une course de côte » dit l'écrivain (catholique tendance drôle) Alfred Jarry, « qui finit en aviateur ». C'est la fameuse montée du Golgotha, que l'auteur d'Ubu-Roi, remaniant les Evangiles, assimile à une course cycliste. Sans aller jusqu'à cette parodie (grec "parodia" : imitation burlesque d'une œuvre littéraire) on peut estimer qu'infliger la crucifixion à son fils relève de la maltraitance et Dieu, en 2006, serait traduit en Cour d'assises.
Heureusement, même dans les familles chrétiennes les plus traditionnelles, les pères ne crucifient plus leurs enfants. Le père a même une certaine réputation, puisqu'on dit d'un homme qui manifeste des bons sentiments qu'il est « plus qu'un ami, un père ». Il y a même le « père spirituel » qui guide la conscience des autres, le « petit père des peuples » qui eut ses années de gloire dans les pays soviétiques, le Père la victoire, qui fit massacrer quelques millions de Français et là, ça commence à bien faire !
C'est pourquoi selon Freud, le fils doit « tuer son père ». C'est évidemment une image. Il doit seulement se débarrasser de son emprise, sous peine d'avoir par la suite des "complexes" et de ne pouvoir accéder à l'état adulte.
Ecoutez, puisqu'on s'instruit encore, aujourd’hui, lisez donc la fameuse "Lettre au Père" que l'écrivain Franz Kafka écrivit réellement au sien, mais ne posta jamais. Il rendait son père, trop brillant, trop intelligent, responsable de son relatif échec à lui, le fils.
Il reste quand même des raisons de célébrer la Fête des Pères, même si Jean-Paul Sartre estime qu'il a eu de la chance de ne pas vraiment connaître son père, et que ce fut un bien pour lui. «Il n'y a pas de bon père » affirme l'auteur de "La Nausée", qui se réjouit de ne pas avoir subi « les violences abstraites » qu'il aurait exercées sur lui.
Pour bien marquer sa différence, Sartre emploie le mot "géniteur" (celui qui "engendre", en utilisant ses parties génitales). Mais on voit tout de suite que la Fête des Parties Génitales, c'est pas du tout porteur pour le commerce, ça risque de conduire tout droit au sex-shop et les cadeaux qu'en pourrait rapporter un bon fils respectueux ne feraient pas forcément plaisir à la Mère, dont j'ai également raté la Fête il y a quelque temps.
En effet, une phrase du type « Papa, je t'ai rapporté une jolie poupée gonflable ! », c'est pas très habile. La mère risque de faire la gueule. Ah ! la vie devient compliquée avec toutes ces fêtes qui sont surtout des prétextes pour relancer la consommation !
D'autant plus que les enfants ont parfois plusieurs pères, dont certains sont qualifiés de "beaux", sous prétexte que ce ne sont pas les vrais, tandis que d'autres malheureux, pourtant pas conçus par le Saint Esprit, n'ont pas de pères du tout !
A cela s'ajoutent encore les difficultés orthographiques. En effet, ne souhaitez pas une bonne fête des "pairs". Ces pairs-là sont des égaux (latin "par, paris"). Si vous "allez de pair", vous allez ensemble avec quelqu'un d'autre. Si vous êtes "au pair" vous êtes logé et nourri pour un travail qui ne vous rapportera pas grand-chose d'autre. Ici la jeune fille sera particulièrement attentive à la qualité de l'orthographe. Si la petite annonce dit clairement « Cherche jeune fille au père », méfiez-vous. L'annonceur a une idée derrière la tête, et peut-être même plus bas.
Et vous n'êtes malheureusement pas au bout de vos peines. Imaginons l'enfant naïf qui revient avec son petit cadeau bien enrubanné sur lequel il a écrit, l'innocent, « Bonne fête des paires ».
Notez, ce ne sera pas vraiment idiot, car le père fabrique son enfant avec cette paire-là, mais ce n'est pas le moment de le rappeler de façon aussi directe. L'instant est solennel !
D'autant plus que, c'est encore Alain Rey qui le rappelle, il existe une « plaisanterie in- sultante » que je vous livre immédiatement parce que je vous sens gourmand de bonnes friandises :
« T'en as bien une paire au cul, mais c'est pas la tienne ».
Je crois qu'il vaut mieux "se faire la paire" et là, rien d'ambigu. Il s'agit de la paire de jambes. Or, quand on ne les utilise pas pour une "partie" où ils se retrouvent "en l'air", ces membres-là sont parfaitement honorables.
Rolland HENAULT ("Articles", volume 2 - Editions de l'Impossible)