Quand Milan Kundera quitte Prague, en 1975, avec son épouse Véra, photographe, c’est le romancier, traducteur, universitaire rennais Albert Bensoussan qui l’accueille à Rennes, à la demande de l’éditeur Gallimard. « Il est arrivé en voiture. C’est Véra qui conduisait. On leur avait trouvé un petit appartement aux Horizons, au dernier étage. On les a aidés à s’installer. C’était un couple merveilleux, qui s’aimait énormément. » On raconte que la lumière de ses fenêtres a longtemps éclairé la nuit rennaise.
Dans son livre Rennes, de Céline à Kundera, (Pur 2016), Georges Guitton, journaliste, a enquêté sur la présence de Milan Kundera à Rennes. « C’est Dominique Fernandez, professeur d’Italien à Rennes 2, qui l’a fait venir. Il l’avait rencontré à Paris, à la faveur d’une réception pour la sortie d’un livre de Kundera. L’écrivain tchèque avait fait savoir son envie de s’exiler. Dans son pays, ses œuvres étaient censurées, il était en froid avec le régime soviétique. »
Quand il arrive à Rennes, l’écrivain tchèque, originaire de la ville de Brno, jumelée avec Rennes, a déjà publié La plaisanterie, La vie est ailleurs pour lequel il a obtenu le Prix Médicis en 1973. Milan Kundera enseigne à l’université Rennes 2, de 1975 à 1979, en littérature comparée. « C’est l’un des professeurs qui m’a le plus marqué, pour son charisme. Milan Kundera donnait le goût de lire, d’aller vers les œuvres pas toujours connues ou parfois dédaignées. Il avait une vraie curiosité », se souvient Olivier Melennec, journaliste à Ouest-France, ancien étudiant de Milan Kundera. « On était en petit comité. Il abordait l’histoire du roman européen, comment, au cours du temps, on a inventé de formes nouvelles romanesques. » Olivier Melennec se souvient, d’un homme grand, légèrement voûté, à l’accent prononcé, au regard perçant sous sourcils broussailleux. « Il était dans l’interaction. Ce n’était pas un cours magistral, théorique, mais celui d’un écrivain, un mécanicien de la littérature. Il en parlait comme d’un métier avec des pièces qu’on ajuste. Il avait le souci du détail. »
Milan Kundera avait aussi un cours sur Kafka. « Milan Kundera avait un esprit critique, témoigne Albert Bensoussan, ému. Il était implacable face aux idées reçues, mais aussi à l’avant-garde dans ses écrits et ses goûts. J’étais ébloui. » C’était un homme discret qui accordait peu d’interviews. « Il avait eu des mots durs à l’encontre de Rennes, il avait dit « je pensais que Brno était la ville la plus moche, mais non, il y avait Rennes », rapporte Georges Guitton, qui ajoute aussitôt, « en réalité, il s’est plu à Rennes. Il avait noué des relations amicales avec des enseignants, les libraires des "Nourritures terrestres". »
Albert Bensoussan, devenu son ami, confirme : « Milan Kundera n’était pas venu en France en touriste. Rennes était aussi pour lui la ville de l’exil. Il avait installé sa bibliothèque sur son balcon aux Horizons. Il aimait y passer du temps, boire du Byrrh, dont il gardait les bouteilles sur lesquelles il dessinait. Il pouvait être très mélancolique, très triste au début. »
Ensemble, ils allaient le dimanche à la piscine de Bréquigny, et dans un restaurant yougoslave de la place Sainte-Anne. « Le restaurateur lui concoctait des plats qu’il aimait et lui mettait de la musique de l’est. »
Dans une vidéo de l’INA, issu du journal de 20 h, d’Antenne 2 , à l’occasion de la sortie de son roman Le livre du rire et l’oubli, on voit Milan Kundera dans son appartement, avec son épouse, qui tape les textes qu’il lui dicte. Dans ce livre qu’il a écrit en vacances à Belle-île, Milan Kundera évoque Rennes et les Horizons, « et le premier matin où il ouvre la fenêtre, son balcon est tourné vers l’est, rapporte Georges Guitton. Il a versé une larme, qui a fait loupe et lui a permis de se rapprocher de ses amis et poètes tchèques ».