Tout a démarré lors d’une banale conférence de presse lors des vœux de début d’année de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). L’ASN y annonçait avoir relevé, en 2023, quarante-trois cas de falsifications, fraudes ou irrégularités dans l’industrie sans en dire plus... Mais le diable se niche toujours dans les détails. Questionnée depuis par Reporterre, l’ASN a fini par publier mercredi 14 février une note sur ces « contrefaçons, falsifications et suspicions de fraude ». En tout, trois affaires ont été signalées à des procureurs de la République en 2023, s’ajoutant à sept affaires déjà en instruction.
Selon les informations de Reporterre, au moins 1 des 3 cas signalés à la justice concerne un fournisseur du chantier de l’EPR de Flamanville. Il s’agit de falsifications de documents fournis par une entreprise ayant livré des pièces et matériaux aux trois chantiers de réacteurs actuellement en construction en France : l’EPR à Flamanville, et aussi le projet de réacteur à fusion Iter et le réacteur de recherche Jules Horowitz du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Cadarache.
C’est la première fois que l’ASN fait un signalement à la justice à propos de pièces faisant partie « des équipements sous pression nucléaire (ESPN) », qui sont susceptibles d’être en contact avec un fluide radioactif : des réservoirs, générateurs de vapeur, tuyauteries, pompes, échangeurs, surchauffeurs, accessoires… Un seul cas signalé peut concerner des lots de 50 à 60 vannes d’un coup.
Les autres falsifications sont de différents types. Dans certains cas, elles ont eu lieu au sein des installations nucléaires. Selon un connaisseur du dossier interrogé par Reporterre, « certaines personnes ont déclaré avoir réalisé des contrôles de radioactivité au sol, alors qu’ils n’avaient pas été menés ». Ces cas se sont soldés soit par une mise à pied, soit par une sorte de contrition publique à visée pédagogique… « Dans un cas, un agent a été contraint de refaire son parcours devant ses collègues en expliquant pourquoi il n’avait pas mené ces contrôles », raconte notre source, sous couvert d’anonymat.
Sur le site d’Iter (Cadarache), l’ASN mentionne le cas de soudeurs qui auraient « falsifié » leurs agréments réglementaires pour « gagner du temps ».
L’autre moitié des irrégularités constatées se sont produites en amont de l’installation nucléaire, chez des fournisseurs d’équipements — comme dans le cas du fournisseur du chantier de l’EPR de Flamanville, d’Iter et de Jules Horowitz. Certains n’ont pas hésité à falsifier des certificats, notamment la « liste des caractéristiques mécaniques et chimiques d’un matériau, ou qualification de soudeurs, par exemple », précise la note de l’ASN. Ainsi « des puces électroniques mal câblées » fournies par des grossistes ont été détectées. Un sous-traitant japonais a également livré un métal non conforme destiné à la construction de conteneurs de transport de matières radioactives.
L’ASN souligne aussi « des mentions erronées dans les documents de suivi de fabrication de pièces (omission de certaines réparations par exemple) ». Selon d’autres informations, des soudeurs n’ont pas déclaré la non-conformité de leur soudure avant de la réparer. Ils ont délibérément omis de déclarer la faute, puis la réparation, pour gagner du temps.
L’autorité insiste sur l’importance de cette comptabilité de la falsification qui est une leçon tirée de l’affaire du Creusot, en 2016, qui a traumatisé les inspecteurs de sûreté, tombés alors de leur chaise. Un audit lancé en 2015 par l’ASN avait permis de pointer que la forge du Creusot, véritable morceau de l’histoire de la sidérurgie française, avait fourni plus de 400 pièces non conformes à la réglementation à plusieurs centrales depuis les années 1960. C’est même dans ce lieu mythique du nucléaire français qu’une partie de la cuve du réacteur EPR de Flamanville a été fondue, avec les anomalies que l’on sait.
Pour rappel, six EPR sont censés sortir de terre à partir de 2035.