Voici venu l’heureux temps où l’électeur, après être devenu citoyen, passe dans une autre catégorie, celle de contribuable.
Ce titre honorifique s’accompagne d’une ponction (action de piquer, apparu sous la forme « pincion » en 1444) qui consiste en une opération chirurgicale destinée à retirer du « liquide ». On comprendra qu’il s’agit là « d’argent liquide ». Le lecteur malappris appellera cette opération une saignée. Intervention de nature médicale, qui visait, à l’origine à « évacuer une certaine quantité de sang ». On disait, au début, une « sainie » (1190).
Ce remède universel, popularisé par Molière, a pris le sens figuré de «perte de substance», d’abord pour désigner des pertes humaines durant les guerres, puis n’importe quel écoulement, puisqu’il s’est élargi au point d’être synonyme de « rigole ». Ainsi, en février-mars, l’argent s’écoule-t-il en « rigoles », qui ne font pas spécialement rigoler, car ce verbe vient de « riole », qui qualifie une « partie de plaisir » vers 1650.
Le contribuable, à qui Boris Vian consacra une chanson bien rythmée, qui répétait inlassablement « C’est nous les con/ les pauvres contribuables », est un terme dont l’origine remonte à 1401. Il est plus réconfortant que « taillable » ou « corvéable ». Il désigne la même chose, et le petit Robert renvoie à «assujetti», c’est-à-dire à « sujet », au sens de «esclave». Le contribuable est un être jovial qui verse, de lui- même, et par pur civisme, une « cotisation, un écot, une quote-part ». S’il est moins enthousiaste, on parlera d’une «imposition», voire d’un « tribut » (de « trebu », 1463) qui n’est pas loin d’être une « rançon » puisque c’est « la contribution forcée payée par le vaincu au vainqueur ».
Le « contribuable » serait-il un vaincu, pas trop riche, qui paierait pour un vainqueur, nettement plus aisé ? Quand on arrive au bout de l’avenue Foch, à Paris, et qu’on pousse jusqu’aux cités d’urgence de Nanterre, on peut penser qu’il y a effectivement, parmi les français, ces deux catégories.
Entre le petit paysan limousin et le céréalier beauceron, il est possible aussi qu’on soit tenté de faire ces remarques. Revenons au mot précédent : le « citoyen », (de « citeien, d’après « cité », du latin civitas, qui s’emploie pour une ville importante, une communauté, dès la fin du 11ème) « le citoyen est celui qui est habilité à jouir, sur son territoire, du droit de cité ». Là encore, on voit que tous les citoyens sont loin d’être égaux. Beaucoup n’ont pas de territoire du tout, sinon les chemins autorisés, les commissariats de police, les prisons.
Reste alors la satisfaction d’être électeur, « celui qui choisit » C’est dans ce sens qu’on parle de « peuple souverain » qui choisit ses élus. Ces élus-là (de « eslire », 1080) n’ont rien à voir avec les élus de Dieu, qui sont très rares, si l’on en croit les Evangiles, qui nous assurent : « Il y a beaucoup d’appelés, il y a peu d’élus ».
On le comprend aisément, quand on voit les avantages intéressants dont certains élus, même par le peuple, bénéficient : Roland Dumas et Jean Tibéri par exemple, sont de drôles de « citoyens », parfaitement « élus » mais nettement moins « contribuables » que d’autres. Que cela ne vous empêche pas de « contribuer », surtout !
Rolland HENAULT (dans « Articles, volume 4, 2001-1996 » Editions de l’Impossible)