« Bloquons tout ! Arrêtons d’en parler faisons-le ! » C’est le slogan qui s’affiche en gros caractères, à côté d’une carte de France entravée par des chaînes. Un plan d’action. Le message circule massivement sur internet pendant l’automne 2018. Il passe de mains en mains au bord des routes, à côté des stations services ou des centres commerciaux. Cette fois-ci, ce n’est pas une déclaration de principe ou une menace : c’est une promesse. Nous sommes au début du mois de novembre 2018. Et partout dans le pays, de petits groupes se retrouvent, discutent, s’organisent. L’initiative fait suite à une pétition, signée par des centaines de milliers de personnes, contre la hausse du prix de l’essence. L’objectif ? Prendre les ronds-points, les routes et les centres névralgiques. Paralyser le pays.
Pas d’organisateurs. Pas d’interlocuteurs. Juste ce message adressé à Macron : «on vient te chercher chez toi ». Le 8 décembre, les blindés sont déployés dans Paris. Près de 100 000 policiers quadrillent le territoire. Des brigades spéciales attaquent les manifestants avec une violence inouïe, tirant des balles en caoutchouc en série. Le soir du 8 décembre, la peur est tellement grande qu’au gouvernement, on se félicite que l’Élysée n’ait pas été pris par les Gilets Jaunes. Mais les dégâts matériels dans la capitale dépassent tout ce qui avait été vu auparavant. Autour de 10 millions d’euros.
« Poujadistes », « beaufs », « racistes ». Alors que le pays bascule, la gauche est sidérée par un mouvement qui bouscule toutes les formes classiques. Face à l’inconnu, les milieux de gauche éprouvent une peur bleue de sortir des certitudes militantes et de leur entre-soi confortable. En décembre, les directions syndicales font même bloc derrière le gouvernement. Le numéro 1 de a CGT se soumet publiquement à l’Élysée, lors d’une conférence médiatique entre « partenaires sociaux », et assure qu’il ne soutiendra pas les Gilets Jaunes, alors même que de nombreux militants CGT s’impliquent sur les ronds-points. Pour des dizaines de milliers de Gilets Jaunes, rien ne sera plus comme avant.
Le soulèvement sera écrasé par une violence d’Etat jamais vue depuis des décennies contre un mouvement social. Plus de 10 000 arrestations. Des milliers de peines de prison. Des centaines de milliers de munitions tirées. Des mutilations à vie. Malgré cela, la vague de colère va durer pendant plus d’un an. Il y aura les coups d’un boxeur dans une ligne de gendarmes et l’engin de chantier dans un ministère. La loi « anti-casseurs » et les milliers de garde-à-vue. Les grands-mères piétinées par la police et les lycéens gravement blessés. Les manifestations interdites et les peines exemplaires. Le Grand Débat National et les conclusions présidentielles : « intensifier » la politique menée.
A l’heure de l’état d’exception permanent, des destructions sociales, de l’extinction progressive des libertés, le soulèvement des Gilets Jaunes reste la dernière grande révolte populaire incontrôlable, le dernier moment où un mouvement a failli renverser le pouvoir en France. Les Gilets Jaunes n’ont pas disparu et la colère est intacte. Tout reste possible.