Années 80, années fric. Années 90, années scandale… Et toujours la gueule à Nanard, sa gouaille, ses gants de boxe, ses joueurs de foot, ses matchs truqués, ses entreprises faillies, ses résurrections, sa tchatche, ses amitiés sulfureuses et la petite chorale de ceux qu’il fait chanter : do mi si la do ré, bateau sur l’eau, j’ai du bon tabac et tu n’en auras pas. Des hauts, des bas, la télé et les journaux, les ministères et la zonzon. Les régimes passent, la gauche trépasse, Mitterrand au cimetière, Le Pen au deuxième tour, Chirac au Val-de-Grâce, Sarko sur ressorts, Hollande et ses amours… et toujours la gueule à Nanard.
En 2008, sous la bénédiction de Christine Lagarde qui n’y voyait pas mal – on a murmuré que sa cécité d’alors n’était pas étrangère à sa belle promotion au FMI –, nous, Français du ruisseau, avons « dédommagé » ledit Tapie de présumées malversations du Crédit lyonnais dans le rachat d’Adidas. Par la grâce de quatre arbitres dont deux cacochymes, nous lui avons octroyé la coquette somme de 405 millions d’euros, dont 45 au titre de « préjudice moral ». Et comme nous l’avons écrit ici, si le mot préjudice prête à rire, l’adjectif moral rapporté à Tapie prête à s’étouffer de rire.
Qu’a fait Tapie de tout ce pognon gratté au fond de nos poches ? France 2 en faisait mardi soir l’inventaire : une fois payés la dette fiscale et les frais de justice, Tapie a touché 304 millions d’euros. Il en a mis 47 dans une villa sur la Côte d’Azur, 40 dans un yacht de 76 mètres de long, 20 dans un jet privé et 51 dans le rachat de titres de presse du groupe Hersant (La Provence, Nice-Matin, Var-Matin, Corse-Matin et France-Antilles). Total : 161 millions d’euros. Aurait aussi placé ses fonds dans une holding domiciliée à Bruxelles : 215 millions dont une partie a déjà été saisie par la justice dans une autre procédure ; le reste dans deux assurances-vie.
En fait, nous dit-on, il est aujourd’hui impossible de dire quel est l’état réel de la fortune de Bernard Tapie et quels sont les biens toujours en sa possession. Question qui n’a d’importance – toute morale mise à part – que parce que la cour d’appel de Paris vient justement d’annuler l’arbitrage qui, à nos frais, a fait de Nanard un gros nabab. L’aspect frauduleux est établi : l’un des arbitres, Pierre Estoup, étant alors en affaires avec l’avocat de Bernard Tapie, Me Lantourne, la procédure est donc annulée. Bref, on recommence tout à zéro.
Le ministre Sapin s’en félicite : « Cet arrêt marque un tournant : en reconnaissant l’existence d’une fraude, la justice confirme le bien-fondé du choix d’attaquer cette sentence arbitrale, dans l’intérêt des contribuables. » Lesquels se posent une question légitime : va-t-on récupérer les fonds versés par l’État à toutes ces crapules ? L’avocat de Bernard Tapie assure que non : « M. Tapie n’a pas à rendre l’argent. » L’intéressé, quant à lui, avance dans son journal La Provence qu’il pourrait même en sortir encore gagnant : « On repart à zéro […]. Désormais, il n’y a plus de limites. La révision peut se faire en plus ou en moins. Et j’espère bien qu’elle se fera en plus. »
Vingt ans déjà que cette affaire dure. Combien encore ? Car si les juges ont annulé la sentence arbitrale, il va leur falloir revenir au fond, c’est-à-dire replonger dans les méandres glauques du Crédit lyonnais pour savoir si, oui ou non, Tapie a été lésé dans le rachat d’Adidas. Un Crédit lyonnais dont les archives, on s’en souvient, ont malencontreusement brûlé : tout d’abord au siège parisien le 5 mai 1996, puis – ce n’est vraiment pas de chance – au dépôt de l’IBSA (dont le CL détenait 25 % des parts) au Havre, le 19 août 1997. Un lot d’extincteurs défectueux, sans doute…
Bref, quand c’est fini, ça recommence, mais les couillons sont toujours les mêmes : vous et moi.