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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 09:38

islam.jpgL'intolérance avance à petits pas réguliers et, sur son passage, elle broie des libertés et des hommes. Connaissez-vous Gregorius Nekschot ? Non ? Rassurez-vous, même ses compatriotes n'ont, dans leur immense majorité, pas réagi à l'annonce par ce caricaturiste néerlandais qu'il mettait fin à sa carrière. Attablé dans un bistrot d'Amsterdam, il expliquait, le 27 décembre 2011, à un journaliste du Volkskrant d'Amsterdam qu'il posait pour toujours son crayon et que, dès le 1er janvier, il désactiverait son site Internet.

 

Pas de photo pour illustrer l'article en question. Le dessinateur préfère masquer son visage pour ne pas servir de cible à l'un ou l'autre illuminé désireux de lui infliger une prétendue punition divine. Il cache aussi son vrai nom : s'il s'est baptisé "Nekschot" - littéralement "balle dans la nuque" -, c'est en référence à la manière dont les régimes totalitaires, de droite comme de gauche, exécutent leurs opposants. Quant à son prénom d'emprunt, "Gregorius", il s'inspire du pape Grégoire XI, qui créa les tribunaux de l'Inquisition...

 

En mai 2008, l'auteur est sorti du relatif anonymat où le cantonnaient ses productions pour quelques maisons d'édition et magazines, qui parfois publiaient et souvent refusaient ses dessins. Lesquels avaient, il est vrai, des allures de brûlots pour les bien-pensants et ne ménageaient aucune religion. Est-ce pour cette raison qu'un ministre chrétien-démocrate, Ernst Hirsch Ballin, fit envoyer à son domicile une dizaine de policiers et de fonctionnaires du ministère de la justice ? Nekschot fut, en tout cas, interpellé, placé en garde à vue durant deux jours et mis en examen. Le parquet finit par estimer qu'il s'était rendu coupable de discrimination mais renonça aux poursuites. Huit dessins étaient en cause, caricatures féroces d'un Néerlandais converti à l'islam et devenu militant ultra-fondamentaliste.

 

L'affaire fit quelque bruit, donnant l'impression que le dessinateur était surtout une victime collatérale de l'affaire Fitna, du nom du pamphlet anti-islam réalisé par le député Geert Wilders. Le gouvernement, craignant incidents et représailles après la diffusion de ce film - qui s'avéra être un épouvantable navet -, donna l'impression de donner des gages aux courants musulmans radicaux. "On doit toujours être conscient que l'on peut devenir le pion d'un jeu qui nous dépasse", explique le dessinateur.

 

Dans les Pays-Bas d'alors - mais ont-ils vraiment changé ? -, c'est "l'incertitude et la panique" qui régnaient, rappelle le Volkskrant. Les assassinats de Pim Fortuyn, tué par un militant environnementaliste en 2002, et de Theo Van Gogh, poignardé par un jeune extrémiste musulman, étaient venus frapper de stupeur un pays présenté comme le royaume de la tolérance. Depuis, les Pays-Bas vivent dans la crispation et voient des extrémistes de tout bord s'agiter et invectiver ceux qui osent la critique ou la différence. Il y a quelques semaines, dans un théâtre d'Amsterdam, une jeune musulmane, militante de la cause des lesbiennes, a été interdite de parole par de jeunes radicaux. Dans les rues, certains juifs n'osent plus porter leur kippa. Et des homosexuels se plaignent du harcèlement dont ils sont l'objet. Sur le plan politique, Geert Wilders tient entre ses mains l'avenir du gouvernement dirigé par le libéral Mark Rutte qui, lui-même, évoque la nécessité de "rendre les Pays-Bas aux Néerlandais"...

 

Mauvaise saison pour les idées. Sale temps pour les caricaturistes et surtout pour un provocateur comme Nekschot, qui trouva un modèle et un allié en Theo Van Gogh. Le cinéaste-acteur-chroniqueur, arrière-petit-neveu du célèbre peintre et pourfendeur de toutes les manifestations du politiquement correct, lui offrit ses premiers espaces sur son site Web, De gezonde roker ("le fumeur en bonne santé").

 

Si Gregorius Nekschot se retire aujourd'hui c'est, dit-il, sans déception. "C'est ainsi. Pour les uns, la création est une chose importante, pour les autres, elle l'est moins", commente-t-il simplement. Il se dit surtout vaincu par les réalités économiques : plus de projets éditoriaux, plus de commandes, plus de dons comme ceux qu'il reçut en 2008.

 

Cet homme plus que discret, à l'âge indéfini, évoque toutefois "la fin de l'angoisse", espérant, dit-il, être enfin lui-même et pouvoir mener une existence moins secrète. Il a rencontré, à Copenhague, Kurt Westergaard, l'homme des "caricatures danoises". Toujours insulté, toujours protégé, celui-ci lui a raconté comment il avait échappé, de peu, à la mort et, quoi qu'en dise le Néerlandais, la leçon a porté : avoir assisté, dans son pays, à l'assassinat de Theo Van Gogh lui a suffi. Il n'y aura pas, pour lui, espère-t-il, de "balle dans la nuque". Seulement, comme sur le dessin d'adieu qu'il a confié au Volkskrant, un crayon qui s'envole en fumée.

 

Le mystérieux Nekschot s'en va, en affirmant n'avoir "ni idée ni idéologie", seulement de l'intérêt, explique-t-il, pour le sort des hommes qui courent derrière les idées et les idéologies : "Ceux qui veulent avoir raison et exercer le pouvoir." Sa seule référence est, souligne-t-il, l'essayiste Karel van het Reve. Ce polémiste, mort en 1999, fut honoré de la plus haute distinction littéraire du royaume au nom, expliqua le jury, de son "sens artistique très élevé", même s'il faisait montre de "méfiance à l'égard de toute croyance et de toute doctrine".

 

stroobants@lemonde.fr

 

Article paru dans l'édition du 03.01.12

 

http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/01/02/mauvaise-saison-pour-les-idees_1624830_3214.html
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