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22 juillet 2013 1 22 /07 /juillet /2013 08:50

On n’ose plus désigner par le mot « écrivains », ou « artistes » les nouveaux fabricants de livres, et, d’une façon plus générale,  les nouveaux fabricants d’œuvres d’art. Roland Barthes ironisait déjà en 1957 sur « l’écrivain en vacances ». En effet, une assez incroyable mutation se produit de jour en jour et sous nos yeux. Cela correspond évidemment à une nouvelle race d’auteurs. En premier lieu, le nouvel écrivain passe ses vacances, c'est-à-dire son temps vide, à la télévision et à la fin de l’émission, on apprend enfin le titre du chef d’œuvre qu’il vient de pondre. La métaphore n’est pas défavorable, puisqu’elle est employée par Marcel Proust, le seul grand auteur du 20ème siècle avec Céline. Dans des genres différents, il est vrai. Mais dans les deux cas, il y avait du style ! 

« Moi, je travaille, disait Céline, les autres y foutent rien ! ».

Et comme il avait raison. Prémonitoire, il était, Ferdinand. Quant à Marcel Proust, il se fit apporter le manuscrit de la mort de l’écrivain Bergotte. Il avait imaginé la description de la mort d’Anatole France, et sur son lit d’agonisant, il souhaitait rectifier certains détails, qu’il trouvait inexacts. Proust vivait sa propre mort en artiste, et il avait le souci de la vérité. C’est ce que Céline appelait « mettre sa peau sur la table ». Je vous ennuie ? C’est que vous n’êtes pas faits pour l’art !

Le nouvel écrivain en vacances permet au moins de retrouver le sens des mots : la vacance, c’est le vide.

On se demande parfois pourquoi il n’existe aucune association regroupant tous les nouveaux  écrivains du vide. En particulier, les écrivains qui ont appris à rédiger à l’école primaire !... et qui continuent aujourd’hui de poursuivre leurs rédactions, qu’il appellent des livres. C’était bien l’école primaire, jusqu’en 1950, 1960 ! On y apprenait les rudiments de la langue française, le sens des mots, la grammaire. Le lexique ou la syntaxe. Et c’était un bienfait prodigieux.

Mais de là à se prendre pour un écrivain, il y avait une distance de marathonien. Maintenant en cet été 2013, on voit des gens qui savent lire, écrire et compter (A l’Armée, on utilisait  cette abréviation : SLEC !)

Tous les Français de 2013 veulent écrire. Tous veulent peindre. Tous veulent inventer des musiques. Je n’ai rien contre ces activités : Les enseignants, les bouchers, les cordonniers, les flics, les délinquants, les tueurs en séries, les surveillants de prison nous font part de leur expérience personnelle. Chacun a le droit de parler. A condition qu’ils se limitent à deux pages au maximum, les gens qui n’ont rien à dire contribuent à une inflation d’infra littérature. Mais les Surveillants de prison, on sait ce qu’ils font, et en plus ils sont payés. Les CRS également. Pour les footballeurs, les tennismen, qui exercent aussi la profession de pénismen, je suis moins indulgent !

Je commencerai par l’activité d’écrivain délibérément et uniquement local. Il nous apprend la particularité de sa commune d’origine, l’intérêt considérable qu’il y a à venir y séjourner, en dépit de l’absence d’hôtel, de restaurant, et aussi, surtout, il observe le climat local, qui est un microclimat miraculeusement vivifiant, indispensable, pour l’apprentissage du port du sabot, du positionnement du harnais sur le dos du cheval, et même il nous assure qu’il y a des cabinets au fond du jardin ! Tout cela s’accompagne des fêtes diverses comme le concours de bites, encore peu développé, qui permet une visite médicale inattendue, le concours de crachats, et la prise de provisions d’air pur parmi les pesticides et les fongicides, après le génocide des basses cours des vaches et des chèvres. Sans compter les fêtes religieuses, dans un pays où on ne croit plus à rien, comme l’élection de la rosière la plus vierge, celle du lapin homosexuel, bref, et pour simplifier « l’harmonie du monde naturel » dont il a pourtant sacrifié la quasi-totalité de la faune et de la flore ! Les éléments résiduels n’ont qu’à bien se tenir !

Seuls, les sympathisants de la Confédération Paysanne font exception à cet étalage des bien- faits du Bon Dieu, qui permettait encore d’entendre des vrais orages, en direct et des récits d’anciens (les plus vieux de la commune) à travers les archives de leur cher village, petit joyau, astucieusement situé à l’abri des progrès technologiques. Le nouvel auteur local nous en donne une image falsifiée… Et je ne parle pas du sous sol, qui est très profond, immensément riche en pierres précieuses et en pétrole très souterrain.

Tout cela est bon pour l’intelligence du monde, et d’ailleurs, branché correctement sur les appareils de maisons de retraite, l’écrivain local continue de vivre à perpétuité, la preuve, il écrit des livres, dont l’apparence est comparable à ceux des plus grands. L’apparence seulement. Les illustrations sont parfaites : une photographie du plus petit menhir du monde, de la plus grosse merde concassée et soigneusement conservée dans un musée branché fera découvrir « l’Art Contemporain ». L’écrivain local prend ses vacances aux Philippines et il écrit un livre standard, formaté, sur l’enculage des pauvres, en oubliant la misère du monde.

Mais le plus étonnant tient au fait qu’il se croit vraiment un écrivain ! Il évite l’excès, la démesure, il respecte les pouvoirs établis, les bienséances des dictatures, tous les ordres qu’on lui donne et rarement il se pose d’autres questions que celles qu’on lui pose à la télévision et qui contribuent grandement à l’acceptation de son sort d’esclave. Il ne pense que très rarement aux deux à trois milliards d’étrangers qui crèvent littéralement de faim. Il se « dépayse », il se déracine lui-même. « Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle ! » écrivait Lamartine au 19ème siècle. Il fut repris par Georges Brassens.  Et Céline dédiait un de ses livres : « aux animaux, aux malades, aux prisonniers ». Céline le maudit, qui ne respecte rien sauf les plus déshérités…

Mais ne sont-ils pas nos contemporains essentiels ?

 

Merci Henri Alleg, merci Claude Bourdet, merci Pierre Vidal Naquet, merci Benoist Rey, merci pour le courage !

Je rappelle que le journal « Le Provisoire » (Châteauroux) fut condamné en 1977, pour avoir ironisé sur les vertus de la Légion étrangère…à propos de l’anniversaire de la légendaire bataille de Camerone. Et nous avions évoqué les tortures en Algérie… Les temps ont changé. Et ce que je dis des faux écrivains de 2013 trouve son illustration, ici. Un petit articulet contre la torture, dans le Provisoire en 1976, permettait d’avoir le soutien de personnalités qui disaient « Non » aux tortionnaires.

alleg.jpgA l’occasion du décès de Henri Alleg, ex-Directeur d’Alger Républicain, quotidien communiste algérien, torturé en 1957, (en même temps que l’universitaire Maurice Audin, qui est officiellement « disparu ») et dont le livre, « La Question » rapportait les sévices exercés par le Colonel Erulin, par ailleurs médaillé pour ses actes de cruauté par Yvon Bourges, qui devenu ministre de je ne sais plus quoi, avait déposé une plainte contre le « Provisoire ».

 Le Provisoire avait reçu le soutien, outre celui de Henri Alleg, de Claude Bourdet, ex-déporté, Compagnon de la Libération, de l’historien Pierre Vidal-Naquet, qui publiait dans le journal « Le Monde » toutes ses protestations, et de Benoist Rey, que je n’ai retrouvé que bien plus tard, auteur du livre « Les Egorgeurs » (Editions libertaires). A l’époque introuvable en France…Ce qui prouve bien que les paroles et les écrits des nouveaux auteurs sont rarement des écrits de protestation, mais des historiettes sur le passé décomposé, par des auteurs qui ne prennent aucun risque. L’époque est bien malade, mais si on la soigne par des refus énergiques, il y a encore de l’espoir. Et nous transmettrons  cette espérance aux jeunes !

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