Ce qui est admirable dans les défilés du 14 juillet, c’est la réconciliation. Les morts, en effet, se réconcilient quand les cadavres sont secs. Quand ils ne sentent plus rien, quand plus rien ne permet de les deviner. Bref quand ils sont redevenus des images d’Epinal. Quand les cadavres sont enfin, disons le mot, réconciliés. Car les cadavres ne sont pas rancuniers. Dans leur immense majorité. Il faut voir avec quelle facilité, quelle gentillesse, quelle douceur, quelle onction, ils abandonnent leurs anciennes querelles ! Evidemment, on entend quelques mâchoires grincer dans les cimetières. C’est bien connu, dans les guerres, on ne peut pas satisfaire tout le monde. Il y a toujours les éternels mécontents, et alors, les morts gémissent. Pas beaucoup, une minorité. On entend leurs gémissements. Ils nous disent, par exemple, que la réconciliation ils auraient préféré qu’on la fasse avant la guerre. On a beau les raisonner, ces morts-là, ils sont têtus ! Leur dire qu’on ne peut pas réconcilier des personnes, à plus forte raison des peuples, sans qu’ils aient été, auparavant, ennemis à mort. Pour se réconcilier, il faut avoir été en désaccord ! Si possible avec du matériel. C’est Robert qui le dit, et il ne se trompe jamais, Robert, le petit Robert. Alors certains morts rechignent, rouspètent, grognent, sourdement. Ces morts ont la tête dure. Ils sont inaccessibles au moindre raisonnement. Ne vous laissez pas impressionner.
Sous prétexte qu’ils sont morts face à un ennemi héréditaire, ces morts, je devrais dire ces cadavres, refusent de changer d’avis. On dirait qu’ils sont figés dans des attitudes définitives. Il faut dire que l’entêtement, poussé à cette limite, tient de la bêtise pure et simple.
On a beau dire aux cadavres français : « Allez ! ne faites pas la gueule !... la guerre est finie… ne boudez pas… » On leur répète parfois : « Arrêtez avec les Boches ! Il faut changer un peu, à la longue c’est monotone… » Aux Boches on a beau essayer de susurrer : « Arrêtez d’en vouloir aux Fransözen… c’est fini les pleurnicheries… » Même résultat, de chaque côté des tranchées. Ils refusent de changer d’ennemi héréditaire. C’est bête un cadavre récalcitrant, ça veut regarder la ligne bleue des Vosges, ça veut aller nach Paris, ou nach Berlin. Et ça n’en démord pas. Pourtant ils ont souvent plus de dents, les cadavres de 14-18. Heureusement, il s’agit d’une minorité. Et vous n’avez pas à tenir compte des voix de ces cadavres minoritaires.
Promenez vous dans les cimetières, au milieu des anciens combattants de 14 18… Vous entendrez peut-être une ou deux plaintes. Pas davantage. Oubliez vite, sinon on pourra pas passer à la guerre suivante. Et il y a des clients qui attendent.
On ne pourra plus massacrer les populations du Moyen Orient, ni les noirs africains.
On ne pourra plus fêter la grande réconciliation, le jour du 14 juillet. On ne verra plus François Hollande parader à côté d’Angela Merkel… Ni les beaux militaires qui marchent au pas, bien en cadence. On ne verra plus les drapeaux, on n’entendra plus la belle musique militaire. Peut-être qu’on sera privés de la nuit du 14 juillet. On aura plus le droit de se saouler, de se camer, plus le droit de rien faire, si on réfléchit un peu.
Non, dans l’ensemble, les cadavres de 14-18, son trop rancuniers. J’ose le dire : ces cadavres-là sont des salauds. Ils voudraient nous empêcher de dormir tranquillement. Nous empêcher de danser sur les tombes.
Les cadavres sont parfois dégueulasses. Ils n’ont aucun souci des survivants. Les cadavres n’ont aucune moralité. Parfois.