Je suis monté dans mon véhicule vers 10 heures en ce jeudi 8 janvier 2015. Je me rendais à la capitale et je ne savais pas que j’étais dans une émission de télé-réalité. J’ai compris assez vite quand j’ai vu s’afficher sur l’autoroute les infos suivantes : « Solidaires des douze victimes ». J’ai donc appris que j’étais solidaire mais personne ne m’a obligé à devenir une vraie victime.
Pourtant des victimes, des vraies, des vrais morts il y en avait eu douze, parmi lesquels je comptais des amis. J’ai continué ma route et je suis arrivé en vue du Panthéon. Ici des affiches sur les grilles : « Je suis Charlie ». A l’Institut Curie, les secrétaires, les infirmières, les médecins portaient le badge : « Je suis Charlie ». Ils étaient vivants et Charlie était mort.
Alors je me suis posé une question : les cadavres exposés à l’intérieur du Panthéon étaient-ils tous équipés du badge de Charlie ? J’avais vu des images la veille. Je me demandais si c’était un mauvais film ou si on était dans la réalité de la vie. J’ai revisionné les images avec davantage d’attention. Ils étaient bien morts, les dessinateurs de Charlie Hebdo. Je n’avais d’abord pas voulu croire que des êtres aussi gentils que Cabu, Tignous, Charb ou Wolinski avaient été assassinés. Ils n’avaient fait de mal à personne ! Il faut dire que le spectacle de la veille avait commencé à onze heures trente et il avait débuté par une incroyable brutalité. Je ne savais pas que c’était seulement le prologue. Les scènes les plus sanglantes étaient retransmises sur toutes les chaînes de télévision et multipliées sur Internet. Non je n’avais pas fait un cauchemar, tout était réel. Alors j’ai pleuré comme on fait devant toutes les tragédies.
Et j’ai compris enfin que c’était un vrai spectacle mais d’une très grande cruauté. En général la télé-réalité montrait plutôt des histoires d’amour un peu mièvres. Ici, ils donnaient dans l’horreur. Qui avait pu imaginer une tragédie de ce calibre ? Je me promettais de punir le coupable et durement ! Mais on n’arrivait pas à l’identifier. J’ai pensé qu’en général on donnait le nom des auteurs mais là c’était le secret le plus total.
Je n’étais pas arrivé au bout de l’horreur, car les télévisions du monde entier diffusaient le même sinistre programme. La pièce n’était donc pas terminée ? On n’avait eu que les trois premiers actes ! La foudre, le destin qui s’était abattu sur des malheureux innocents ! Le 9 janvier 2015 la diffusion de la pièce continuait. La scène s’était déplacée en deux autres lieux et j’eus droit encore à des violences inouïes… Ah on en avait pour son argent : cinq cadavres porte de Vincennes et deux seulement à Dammartin en Goële. Mais si on fait le total on arrive à dix sept morts.
Les auteurs de la tragédie sont muets à jamais, puisqu’ils ont été exécutés par les hallebardiers de service. Ainsi on ne saura jamais la vérité sur cette mise en scène particulièrement longue et particulièrement tragique. Heureusement les scènes filmées ont été conservées et je ne doute pas qu’on les ressortira à chaque fois que l’actualité sera mauvaise pour les pauvres.
Les pauvres ont besoin d’être divertis, c'est-à-dire détournés de l’essentiel. Et ici je cite Blaise Pascal. Une référence en matière de philosophie.
C’est tout de même désespérant d’en arriver à de pareilles extrémités pour gouverner de pauvres gens.