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7 décembre 2013 6 07 /12 /décembre /2013 09:19

Jusque là, j'ai rien dis. J'ai fais ma part en consciencieux, à la régulière. Mais admets un peu, toi le lecteur qui voit tout depuis le début, que mon co-auteur me cherche. Des noises, des poux, des cailloux, des hiboux, ce que tu voudras bien, mais surtout des emmerderies! Qu'il parte en sucette à chaque chapitre qui lui incombe, soit. M'y suis habitué et toi aussi, j'espère. Même, je trouve, ça donne du style à notre polar. Sûr comme ça que t'en trouveras pas un autre pareil ailleurs. Y'a les ceux qui veulent du narratif, de l'histoire qui avance, des rebondissements, du suspense qui pourront, si ils le souhaitent, ne lire que les chapitres pairs. Et puis y'a les ceux qui préfereront du délire, de la disgression, de la vacharderie bien envoyée et qui se cantonneront aux chapitres impairs. Et puis il y a toi, le vrai lecteur, qui acceptera le tout comme un pack indissociable, qui mordra le fait que tout ça se tient par les coudes, voire les couilles pour certains chapitres plus osés. En plus, au prix fort du bouquin que tu as acheté, avoues que ce serait ballot de n'en lire que la moitié. Pour rentabiliser ton achat, on s'est même dit, avec mon co-auteur, qu'on allait rajouter des pages blanches à la fin pour que, comme ça, tu puisses y écrire ta liste de course où tes rendez-vous chez ton psy. Mais là, on est encore en pourparler avec l'éditeur, je te garantie rien. L'éditeur, il veut faire oeuvre, lui, c'est son job, tu comprends. Il est pas là pour te vendre des salades, l'éditeur. Il veut t'éduquer à la Littérature, rien de moins! C'est un ambitieux, t'avoueras. Et puis, il a des principes. Par exemple, il ne lit jamais les bouquins qu'il publie!

Mais t'en revenir à mon co-auteur. C'est déjà pas simple d'écrire à deux. Surtout quand on ne sait pas où on va. Alors si, en plus de ça, il passe son temps à m'infamer, là, je vais te dire, on va plus être copains longtemps! Passe encore qu'il me traite de kossovar, je sais même pas trop ce que ça veut dire. Et puis je ne connais pas bien la Kossovarie, cancre nul que j'ai toujours été en géographie. Mais qu'il sous-entende que ne vois en lui qu'un aryen, voir un Boche (habitant de la Bocherie, je suppose), là je dis halte au feu, stop, this is the end, game over, je ne joue plus! J'y peux rien si il a les yeux bleus, le cheveu blond et ondulé, la carrure athlétique que si elle le voyait en vrai, Leni Riefenstahl retrouverait l'usage de ses ovaires derechef! Alors que moi j'ai les yeux noirs, le cheveu brun et dru, la peau un peu halée de celui qui a des origines manouches, que d'ailleurs j'en ai et que si t'es pas content de ça, eh bien tu manges tes morts! On va quand même pas se chicaner sur nos physiques, quoi! Faut laisser ça à BHL et Houllebecq qu'ont rien d'autre d'intéressant à dire. Et puis ils font ça très bien, avec ambiance cour de récré, jeux de billes et écorchures aux genoux, tout ça, tout bien. Alors je vais te dire la vérité, à toi et rien qu'à toi, tout ça je m'en fous. Je sais bien que lorsque le Bas du Front National aura pris le pouvoir, je serai un des premiers à monter dans le train et que mon co-auteur sera là, sur le quai, pour agiter son mouchoir et me dire adieu. Parce qu'il a le sens de l'amitié, vraiment. D'ailleurs, il m'a expliqué qu'il n'écrivait jamais ce mot -amitié- au pluriel. Parce que ça ne se partage pas, et surtout pas avec n'importe qui! Alors, je vais te dire, il peut bien me traiter de kossovar, d'éthiopien, de bobo, de scrofuleux, ou pire, de politicien, je lui en veux pas. De rien. Il s'amuse, il m'amuse, et je crois bien qu'il t'amuse aussi à voir le sourire vaguement con que tu arbores en permanence. Ou alors c'est de naissance et il faut te dire qu'on n'a jamais que ce qu'on mérite. Maintenant, et comme je fais ce que je veux dans mon chapitre, je m'en vais te revenir au polar. Parce que je m'y suis attaché, moi, à cette histoire de hache qui fend, de commissaire Naze, de malédiction.Tiens, d'ailleurs, je crois bien qu'on en était là. Je te reprends l'affaire si tu le veux bien.

Cette fameuse nuit là, à Brion, ce charmant petit village si paisible auparavant, il se passa une chose étonnante. Une coïncidence pour tout dire, que l'on qualifierait volontiers de troublante si on était dans un roman. Dans deux endroits différents, éloignés de quelques dizaines de mètres l'un de l'autre, deux personnes entamèrent le même récit. C'est ainsi que Gaston et Raymonde Lenoir prirent la parole.

« Cette histoire s'est passé en 1796. A l'époque, les membres de la famille Lenoir étaient connus et reconnus par tous les habitants de Brion qui, dans leur ensemble, les détestaient et les jalousaient en raison de leur aisance. Faut dire, Les Lenoir tenaient l'unique auberge du village et lui avaient donné pour nom « La Jalousie », histoire de bien faire comprendre aux villageois dans quelle estime ils les tenaient. Mais cette nuit du 28 Avril allait tout changer! Tôt dans la soirée, deux voyageurs, inconnus des tenanciers, se présentèrent à l'auberge et demandèrent couvert et gîte pour la nuit. Vers 22 heures, alors que tout le monde était couché, les deux voyageurs allèrent tirer le verrou de l'entrée laissant place libre à toute une horde de criminels, qui silencieusement, avaient cernés la maison dans la soirée. Visiblement, le coup était bien préparé et la bande bien organisée. Après avoir séquestré les domestiques dans leurs dépendances, les voyous se lancèrent dans un véritable carnage! Pour commencer, ils égorgèrent dans leur sommeil le père, Louis Lenoir, ainsi que la mère, Marie-Anne. Puis ce fût au tour des deux filles de 13 et 7 ans, égorgées elle aussi sans aucun scrupule! Mais la famille Lenoir comptait 4 enfants. Rose, âgée de deux mois, et ne constituant visiblement pas une menace pour les tueurs, fût épargnée. Et puis il y avait Denis, 9 ans, qui... »

Raymonde s'interrompit.

« Dis, gamin, ça te dérangerait d'arrêter de t'astiquer le manche pendant que j'évoque? Je comprend que tu ais des besoins mais, soit tu te termines fissa, soit tu me ranges coquette afin que je te poursuive l'énoncé, capito? »

Et Raymonde reprit.

«  Et donc, il y avait Denis, 9 ans, qui, ayant entendu du bruit alla vite se cacher dans la caisse de la haute pendule située dans la salle commune. Il entendit les bandits promettre à Marie, leur servante, qu'elle aurait la vie sauve si elle leur servait un bon repas. Puis des bruits violents, des rires tonitruants, des voix beuglantes. Ils étaient entrain de piller la maison. Puis ils festoyèrent. Puis Denis entendit les cris de douleur et de détresse atroces de Marie, torturée et violée. Puis tout s'arrêta lorsqu'ils l'égorgèrent à son tour. La maison redevint... »

Ce fut au tour de Gaston de s'interrompre.

« Fait soif à dégoiser comme ça! Permettez, commissaire, je vais nous servir une gnôle que je prépare moi-même, un truc à dessoiffer un cadavre!... Oui, j'ai un alambic... oui, je sais, c'est interdit! Vous êtes de la police ou quoi?.. Ah, oui, j'avais oublié... Allez, remballez votre conscience professionnelle et goûtez-moi ça!... ça pique, hein? Vous pleurez? C'est que le nectar s'insinue, c'est rien... »

Et Gaston reprit.

« Donc, la maison redevint silencieuse. Les pillards s'étaient évanouis dans la nature avec leur butin. Au petit matin, les domestiques furent libérés et on découvrit le carnage. Ce fut la consternation dans tout le village, puis dans tout le département car la nouvelle se répandit rapidement. Vous savez bien à quelle vitesse le malheur se propage, hein? Bien plus vite que le bonheur! Parce que le bonheur, c'est si rare, qu'on se cache pour le vivre pleinement, en égoïste. Parce que si on se met à le partager, pfuit, il disparaît! Le bonheur, c'est un plaisir solitaire, me semble. Mais bref. Les habitants de Brion plaignirent alors avec force les Lenoir qu'ils détestaient tant auparavant. Le seul survivant, Denis, fut retrouvé dans sa pendule, à jamais choqué par ce qu'il venait de vivre. »

Naze, la gorge et l'estomac en feu, demanda.

« Et qu'a donné l'enquête? Les coupables ont-ils été retrouvés? Putain, c'est quoi ce truc, de l'acide alcoolisé? »

« L'enquête, commissaire, a piétiné longtemps malgré les moyens mis en place. Mais, à l'époque, on manquait de moyens et d'effectifs. De plus, les tueurs avaient fait ça proprement, si je puis dire, et n'avaient laissé aucune trace exploitable permettant de les identifier. Le petit Denis fut évidemment interrogé, mais il garda son secret jusqu'à son lit de mort. »

« Alors, si je comprend bien, vous êtes le descendant de ce Denis? » demanda Naze.

« Mais ça veut dire que tu es la descendante de Denis, Maminette? » arriva à la même conclusion Benoît.

Gaston et Raymonde, chacun de leur côté, hochèrent de la tête affirmativement et gravement.

« Moi aussi, je suis un de ses descendants alors? »

« Oui, mon con. » répondit Raymonde sobrement à son petit-fils.

« C'est une histoire tragique, je vous l'accorde, mais je ne vois pas le rapport avec le tueur à la hache qui sévit actuellement? »

« Alors, c'est que vous êtes encore plus abruti qu'un abruti de flic, si vous me permettez, commissaire. » répondit laconiquement Gaston à Naze.

« Et la malédiction, c'est quoi? » demandèrent, ensemble mais séparément, le fonctionnaire de police et l'adolescent priapique.

« C'est ce drame que nous portons comme un fardeau de génération en génération. Mais il est temps de se délester, fils! L'heure est venue où les habitants de ce village vont payer! » dit Raymonde, le regard subitement noir.

« L'aube approche, commissaire. Vous allez avoir l'opportunité de serrer votre tueur à la hache. Par contre, cela risque de ne pas être aussi simple que ça pour vous. Car, oui, la malédiction est en marche... » dit Gaston avec une gravité que Naze n'avait jamais décelé chez lui jusqu'à présent.

 

Et là, j'en vois un qui doit bien se marrer à s'en fêler les côtelettes, c'est mon ami co-auteur. Je le devine déjà gribouiller à mon sujet comme quoi, après le polar à la petite semaine, je verse dans le fantastique à deux balles et qu'il ne manque plus que des extra-terrestres pour que le n'importe quoi affiche complet! Mais, dis, si t'en veux, de l'ufologie, je suis prêt à t'en donner, moi, hein! Mon credo c'est : tout pour le lecteur et tout contre la lectrice! Alors, te gêne pas, demande et j'exhauce! Et on emmerde mon co-auteur! Si tu veux de l'eau de rose, je t'en donne! Si tu m'exiges un paragraphe avec des poneys, je t'en colle deux pour le prix d'un! Oui, je sais, c'est un peu putassier comme attitude mais, avec la sodomie, c'est le seul moyen de percer dans le métier, il paraît. Et je préfère mettre de que de me faire mettre, pardon.


Et le jour fini enfin par se lever doucement sur Brion. Le commissaire Naze avait l'impression d'avoir un orchestre de jazz qui joue avec des moufles et pas bien ensemble dans la tête. La faute à la gnôle et au manque de sommeil. Sans parler de tous ces événements bizarres dans ce fichu bled. S'ajoutait à tout ça le sentiment diffus que du pas normal allait encore se dérouler. Cette impression se confirma lorsqu'il vit Gaston tenant une hache sur l'épaule quitter la maison. Naze se redressa péniblement du canapé dans lequel il était vautré pour le suivre, se disant dans sa Ford intérieur (il adore les bagnoles, c'est comme ça!) qu'il savait bien que c'était lui, le Gaston, le vilain tueur!. Arrivé sur le perron, ce qu'il vit le laissa sans voix, sans toi, ni moi, sans foi ni loi. T'expliquer la scène simplement. Un soleil timide mais serein pontait à l'horizon, là-bas le long de la mer jaune que constituaient les champs de blés. L'église sonnait pour la septième fois. Volets et persiennes s'ouvraient. Le village s'éveillait doucement. Et ses habitants vaquaient à leurs occupations habituelles. Une scène de campagne tout à fait normale donc. Si ce n'était le fait qu'il n'y avait plus que des brionnais... ça, passe encore, mais surtout... surtout, tous trimballaient une hache sur l'épaule! Ce petit détail suffisait à rendre la scène complètement surréaliste. Que ce soit Paulo le boulanger ou Jean-Pierre le boucher, Dédé le fier, Jean-Yves et son teckel, Denis l'ancien, Antoine qui voit plus très bien, Firmin le mongolien, Fernand qu'a un cancer, Claude qui vote à gauche ou Jacky le pédéraste, tous tenaient à l'épaule une hache avec l'air aussi normal que s'ils n'en avaient pas!

Le conconmissaire Naze, exténué, ébahi, hébété, ahuri mais surtout encore nauséeux, décida de terminer ce chapitre dans la simplicité : il se mit à vomir tout en tombant dans les pommes.

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