Le refus de Robert Badinter de réviser l'affaire Mis et Thiennot en a surpris plus d'un dans l'Indre. Il n'a pas surpris tout le monde : les habitués de la politique politicarde se doutaient en effet depuis longtemps que le dossier n'irait pas loin. Car l'image de Badinter-le-Juste, avec ce front qui n'attend plus que l'auréole avant d'entrer au paradis des victimes incomprises, cette image volontiers présentée dans la presse de gauche mérite peut-être quelques retouches qui nous ramènent à une réalité plus prosaïque : Robert Badinter n'est pas précisément un prolétaire.
Certes la fortune n'est pas forcément une tare et l'on a vu des hommes politiques aisés faire passer des idées d'avant-garde, que peut-être, des pauvres n'auraient pas comprises.
Toutefois, il est bon de rappeler que, dans la famille Badinter, on est plus habitué au Champagne caviar qu'au boudin-purée : le cabinet d'avocats Badinter est le plus florissant de l'hexagone. Elisabeth Badinter, professeur à l'Ecole Polytechnique, écrivain, est une vedette de la littérature-spectacle chez Bernard Pivot. Elle est la fille de Marcel Bleustein-Blanchet, PDG de Publicis, la plus grosse entreprise de pub de France. Dire ces choses-là vous fait passer généralement pour un mal élevé. Il n'en reste pas moins que Badinter n'a pas eu, dans son existence, très souvent l'occasion de trinquer sur le zinc avec Thiennot ou ses semblables. Ce détail vulgaire a son importance : les riches ont en effet l'habitude de se connaître, de se rencontrer dans les lieux qui sont les leurs, et, souvent, de se soutenir.
Par ailleurs, Robert Badinter n'est pas précisément un défenseur de l'ouvrier : avocat de Christina Von Opel comme de la famille Boulin, quand il défend des pauvres types, comme Buffet et Bontemps ou Patrick Henry, ce sont des pauvres types qui font la une de l'actualité.
Partisan de l'humanisation des prisons, il s'est fait (à 1'extérieur seulement) une réputation d'humaniste, qui lui attire la haine de l'immense majorité des imbéciles. De ce fait, à l'inverse, il est devenu très populaire auprès de la gauche humaniste et plus ou moins libertaire.
Badinter d'ailleurs "passe" très bien auprès des cours d'assises, mais beaucoup plus mal auprès des électeurs : le fauteuil ministériel est pour lui le seul moyen de réussir en politique.
Ce n'est pas, en effet, par simple négligence que Badinter a refusé la révision du procès Mis et Thiennot. C'est une attitude délibérée, nullement basée sur la valeur du dossier. La chronologie des faits le montre clairement. Avant mai 81, la gauche unanime est pour la révision et l'affaire est évoquée comme argument électoral. Puis, dès l'été 81, le dossier est "oublié". Avec de très gros guillemets... Ce trou de mémoire subit est d'autant plus paradoxal qu'on n'oublie pas d'autres affaires, à l'époque plus payantes pour se rallier l'appui de l'extrême-gauche : Mauvillain, Debrielle, Knobelspiess. On ne s'embarrassait d'ailleurs pas avec les mêmes scrupules que pour Mis et Thiennot puisque c'est l'ancien avocat devenu ministre qui libérait alors ses propres clients... (et il avait raison !).
Pendant ce temps, on faisait traîner l'affaire Mis et Thiennot jusqu'à l'hiver 82. En février 82, Badinter en personne, qui ne manquait pas de temps pour inaugurer le tribunal d'Issoudun, était informé de vive voix par Léandre Boizeau, et promettait :
- "Comptez sur moi ! "
L'année 82 voit se réaliser une "enquête" peu convaincante qui ne donne pas l'impression qu'on est pressé d'aboutir : on prétend en effet, interroger des témoins qui sont morts depuis trente ans, à supposer qu'ils aient existé. On recherche avec une minutie maniaque des objets introuvables et l'on s'égare dans des détails stériles tout en refusant de recevoir le Comité, au nom de la déontologie... Explications officielles de la gauche (?) : la droite a laissé un "héritage" affreux que la brave gauche n'arrive plus à démêler d'autant plus que - pensez donc ! – les fonctionnaires du ministère de la Justice bloquent tous les dossiers... Cette explication naïve et jésuite à la fois, n'abuse que ceux qui le veulent bien.
Pourtant, le rapport balistique finit par tomber... en janvier 83 ! Il en ressort clairement que Mis et Thiennot n'ont pu tuer le garde Boistard.
Qu'importe ! le ministère réfléchit. On fait traîner par de misérables méthodes jusqu'à l'automne 83. Là, il faut bien répondre : Mis et Thiennot sont coupables, dit Badinter.
La colère, au comité, le dispute au découragement : la gauche serait donc aussi pourrie que la droite ? Elle refuse en tout cas de désavouer les magistrats des cours précédentes et de faire de la peine à la famille Lebaudy. Ce n'est pas rassurant !
Rolland HENAULT (dans "Articles" Volume 6 aux Editions de l'Impossible)