Au début de la Première Guerre mondiale, en septembre 1914, les Britanniques créèrent secrètement le Bureau de la Propagande de guerre (« Wellington House ») au sein du ministère des Affaires étrangères. Reprenant le modèle des Médicis, ils recrutèrent les grands écrivains de l’époque —comme Arthur Conan Doyle, HG Wells ou Rudyard Kipling— pour publier des textes attribuant des crimes imaginaires à l’ennemi allemand, ainsi que des peintres pour les mettre en image. Par la suite, ils recrutèrent également les patrons des principaux quotidiens —The Times, Daily Mail, Daily Express, Daily Chronicle— pour que leurs journaux reprennent ces falsifications.
Ce modèle fut repris par le président Woodrow Wilson qui créa, en avril 1917, le Comité d’information publique (« Committee on Public Information »). Cet organe est célèbre pour avoir employé des milliers de leaders locaux afin qu’ils répandent la bonne parole (les « Four Minute Men »). Il développa la propagande visuelle en créant un département chargé des affiches, qui produisit notamment le célèbre « I want you ! », et un autre qui tenta de produire des films. Surtout, il substitua au recrutement de grands écrivains un groupe de psychologues et de journalistes autour d’Edward Bernays (le neveu de Sigmund Freud) et de Walter Lippmann chargé d’inventer chaque jour des histoires extraordinaires, terribles et édifiantes, qu’ils diffusèrent auprès des patrons de presse. De la sorte, on passa de l’orientation donnée par le Pouvoir à des artistes à la narration d’histoires (« storytelling ») fabriquées systématiquement selon des règles scientifiques.
Alors que les Anglo-Saxons visaient uniquement à frapper les imaginations et à faire de l’adhésion à la guerre un phénomène de mode, les Allemands expérimentèrent le moyen de faire participer les gens aux histoires imaginaires qu’on leur raconte. Ils firent un usage généralisé des uniformes, qui permettent à l’individu de jouer un rôle, et des mises en scènes grandioses —politiques et sportives— qui manifestent l’opinion majoritaire. C’est sans aucun doute à ce moment-là que s’élabora la « propagande moderne », c’est-à-dire la diffusion de croyances qu’on ne peut pas critiquer et sur lesquelles on ne peut pas revenir. L’individu qui a participé aux marches au flambeau en uniforme noir ne peut plus remettre en cause ses croyances nazies sans se remettre en cause lui-même et devoir repenser à la fois le passé et sa vision de l’avenir. En outre, Joseph Goebbels institua un briefing quotidien au ministère de l’Information au cours duquel il définit les « éléments de langage » que les journalistes devraient utiliser. Il ne s’agissait plus simplement de convaincre, mais de modifier les références des foules. En outre, les Allemands furent les premiers à maîtriser les nouveaux moyens de communication que sont la radio et le cinéma. Ils s’invitèrent même au domicile des gens en y installant la télévision.
Goebbels considérait l’art de la propagande comme un combat contre les individus. Il souligna l’importance de la répétition, du « bourrage de crâne », pour vaincre les résistances intellectuelles. Le problème était d’autant plus important que l’usage de la télévision renvoyait à nouveau de la foule à l’individu.