Nous sommes le mercredi 13 janvier 2010 et je n’ai rien trouvé à me mettre sous la dent. Si ça continue, je vais me suicider ! Vous vous rendez compte de la responsabilité que vous aurez dans cette affaire ? A votre place j’aurais honte !
Mais non, rien à faire, pas de sujet ! Rien ! Ou plutôt si, il y en a trop, des sujets d’articles. Cent mille morts à Haïti, par exemple. C’est beaucoup trop, on n’arrive pas à les compter ! Pourtant c’était une bonne occasion de s’instruire, vu qu’en général, on ne sait pas où ça se trouve, Haïti. On connaît la République Dominicaine. On voit des pubs sur Internet. Il y a des palaces à l’américaine. Pour 500 euros vous avez le voyage et le séjour. Avec la petite paire de jumelles pour regarder les pauvres. A une portée de lance roquettes. Eux, ils sont à Haïti. C’est pittoresque, des pauvres, quand on les regarde sous le bon angle. On prend des photos pour impressionner les copains. Regardez bien, c’est des vrais pauvres. De la pure race des crève la faim. Ah ils ne souffrent pas du froid, les veinards ! Et en plus, en exclusivité, le tremblement de terre !...Tiens, ça devient intéressant. Pourquoi ? Parce que, sur une même île des Antilles, il y a deux pays. Un riche et un pauvre. Quel superbe contraste !
A Haïti, dix millions d’habitants, dont 80% au-dessous du seuil de pauvreté, 54% dans la pauvreté la plus abjecte, c'est-à-dire qu’ils disposent de moins de 1 dollar par jour et par personne. Les enfants confectionnent des galettes de terre, pour les revendre à des plus misérables qu’eux ! Non il ne s’agit pas d’un film catastrophe. Il s’agit d’une vraie catastrophe ! Ca s’appelle la mondialisation.
A côté, et sur la même île, la République dominicaine, où vont frimer les vacanciers des pays riches. Il faut dire qu’il y a de belles filles et pour pas cher on peut en acheter une ! Suffit de choisir ! On la rapporte à la maison, dans son sac à provisions, ces femmes-là, ça consomme peu et puis, si on n’en est pas satisfait, on peut l’échanger contre une autre.
Je parle pour ceux qui ne veulent pas consommer sur place. Mais, en ce vendredi 15 janvier 2010, cette catastrophe est déjà à demi oubliée. C’est que vous avez zappé ! Et là, croyez-moi, vous êtes un homme moderne ! Vous avez déjà successivement zappé Johnny Hallyday, les SDF, le carton qui les enveloppe parce que c’est moins perméable au vent. Vous aviez zappé Noël, le premier janvier, la hausse du pétrole, vous avez zappé l’enseignement, l’identité nationale, alors, si vous êtes curieux, vous pouvez toujours chercher le mot « zapper » dans votre dictionnaire en papier ! Hélas ! Je ne suis pas sûr que vous le trouviez. D’abord, il faudrait apprendre à lire, à lire des mots, des phrases, peut-être des vrais écrivains ? Vous avez zappé la culture, l’instruction, l’histoire de France et du monde.
Alors vous cherchez « zapper » dans Internet, et vous n’avez que des dictionnaires virtuels. Pourtant, les pauvres sont bien réels ! Ce ne sont pas que des images ! C’est ce qu’avait prévu Orwell. Vous devriez lire George Orwell. Et pas seulement « 1984 », mais aussi « Dans la dèche à Paris et à Londres ». Et aussi Huxley. J’ai beau me tuer à vous rappeler sa fameuse préface au Meilleur des Mondes, et je vous la rappelle encore :
« …à mesure que diminue la liberté économique et politique, la liberté sexuelle a tendance à s’accroître en compensation…le dictateur fera bien d’encourager cette liberté-là. Conjointement avec la liberté de se livrer aux songes en plein jour sous l’influence des drogues, du cinéma et de la radio, elle contribuera à réconcilier ses sujets avec la servitude qui sera leur sort. »
Et puis, si vous voulez préciser, voici Guy Debord tentant de définir notre nouvelle exploitation :
« …il leur (nous) faut acheter des marchandises, et l’on fait en sorte qu’ils ne puissent garder de contact avec rien qui ne soit une marchandise… » (In girum imus et consumimur igni ).
Voici une raison essentielle de la réussite économique de la République dominicaine. Anticipant Marx ! Le capitalisme nous oblige à vendre ou à louer nos bras, notre force de travail. Ca s’appelait « l’aliénation », la transformation de l’homme en chose. Pourquoi ne pas vendre, en effet, toutes les parties de son corps ? Ainsi justifie-t-on la pire des exploitations humaines : la prostitution. A Cuba, Castro avait gagné contre Battista avec cet argument contre la prostitution comme métier normal. La fin des pays communistes et l’embargo l’ont fait revenir, lui aussi, mais en partie seulement, sur l’ancienne économie fondée sur le sexe. Certains groupes féministes approuvent la prostitution. Elles sont prêtes à devenir des choses. Je comprends alors « Monique », le film de Dupontel. Sa poupée moulée remplace avantageusement la prostituée.
On aurait dû accepter l’idée que « Monique » était un film prémonitoire. Je ne dis pas ça parce qu’il a vécu sa jeunesse à Conflans Sainte Honorine, où je dispose d’une somptueuse datcha !
Mais on est quand même des bons, à Conflans, c’est là que fut tourné le film « l’Atalante », de Jean Vigo et, pas loin, c’est Auvers et Van Gogh. Je me sens intelligent tout d’un coup.
Je vais me faire maquereau, au nom de la liberté. Je vendrai mon cul à Frédéric Mitterrand : il paraît que la gérontophilie, ça commence à être tendance.
Avant je passerai sur Yvette (c’est sa fête, aujourd’hui 13 janvier.) L’ennui, avec Yvette, c’est qu’il s’agit d’une rivière. Mais l’eau est féminine, m’a dit Gaston Bachelard. Même que c’est parce que la mère porte en elle la mer. Parce que la femme mouille, comme un navire (Léo Ferré). Elle dispose d’une moule, qui est, à un poil prêt, parfois davantage, un môle !
Seulement il y a un hic : le panneau indicateur : « Gif sur Yvette » ! Salaud de Gif. Il pourrait se retirer de temps en temps.
Pauvres Haïtiennes ! Pauvres Dominicaines. Pauvres Antilles ! Et c’est nous qui contribuons à vous polluer le corps et l’esprit.