Pourquoi se construit-il tant d’éoliennes ? On comptait, selon le Syndicat des énergies renouvelables (SER), 1 500 éoliennes pour une puissance de 2 700 mégawatts (MW) fin 2007, réparties dans 341 parcs éoliens en métropole ; 130 nouveaux parcs, représentant 450 éoliennes, ont été installés courant 2007. Les éoliennes devraient être 3 500 en 2010, pour une puissance de 7 300 MW, et plus de 8 000 en 2020 (dont 850 en mer) pour une puissance de 25 000 MW.
Selon ses partisans, le recours à l’éolien permet de diversifier nos ressources énergétiques, objectif louable avec la hausse du prix du pétrole et le fait que les combustibles traditionnels – gaz, pétrole, charbon – sont épuisables et polluants. L’éolien va dans le sens des accords de Kyoto, ratifiés par la France et l’Union européenne, qui prévoient une réduction de 8 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2008-2012 afin de lutter contre le réchauffement climatique. Les éoliennes sont enfin le fer de lance des énergies propres pour atteindre une production de 21% d’électricité d’origine renouvelable à l’horizon 2010, objectif fixé par la loi d’orientation sur l’énergie du 13 juillet 2005. «Seul l’éolien peut nous permettre de parvenir à cet objectif, affirme Michel Lenthéric, chargé de mission à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). L’énergie hydraulique a atteint ses limites. Et les coûts de production de l’éolien sont moins élevés que ceux des panneaux photovoltaïques.»
Mais pour les nombreuses associations opposées aux éoliennes, dont la Fédération environnement durable ou Vent de colère sont les plus en pointe, elles sont une imposture écologique. Ces associations font valoir que la France est le pays d’Europe dont la production d’électricité provoque le moins de rejet de CO2 par habitant. Notre électricité provient pour 76,85 % de l’énergie nucléaire, qui pose certes le problème de la gestion des déchets, de l’approvisionnement à terme en uranium, mais n’émet aucun gaz à effet de serre. Elle provient aussi de l’énergie hydraulique, ressource propre et renouvelable à hauteur de 11,6 %. La part de l’énergie thermique (gaz, charbon, pétrole) monte à 10 % et celle de l’éolien à 0,73 %. « Nous n’avons pas besoin de l’éolien, soutient Christian Gerondeau (lire notre interview page 53) parce que les énergies nucléaire et hydraulique répondent à nos besoins. Pour preuve, nous exportons 10 % de notre production d’électricité. Lors des périodes de grand froid, où la demande d’électricité est supérieure, nous faisons appel aux centrales thermiques, qui émettent des gaz à effet de serre. L’utilité d’une éolienne serait de s’y substituer à ces occasions. Or les périodes de grand froid sont des périodes anticycloniques où il arrive que le vent soit absent sur la totalité de notre territoire. » Météo France confirme et nuance à la fois : lors de ces épisodes anticycloniques, le vent peut souffler dans certaines régions, notamment le Sud. Là où il fait le moins froid !
Participent-elles à la diminution du CO2? Selon les chiffres avancés par France Energie éolienne, 25 % de l’électricité produite par ces ailes aériennes permettrait une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Le Réseau action climat, qui regroupe plusieurs ONG, a calculé de son côté que 5% des émissions de CO2 seraient évitées grâce à l’éolien. «Pure propagande », rétorquent les associations. « Dix mille éoliennes produisant 25 000 MW ne peut que réduire de 0,5 % les émissions françaises de CO2, soutient Jean-Louis Butré, président de la Fédération environnement durable. Pire encore, en développant les éoliennes, on multiplie le recours aux centrales thermiques. » Selon la Commission de régulation de l’énergie, l’éolien ne contribue que de façon marginale à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, simplement parce qu’il s’agit d’une production intermittente, qui ne peut être stockée et qui doit être relayée par d’autres sources d’énergie. « Les éoliennes ne tournent que de 20 à 25% du temps, car elles ne fonctionnent pas lorsque le vent est trop faible ou trop fort ! explique Jean-Marc Jancovici, ingénieur conseil. Nous sommes donc contraints de disposer en renfort de centrales thermiques ou hydrauliques, qui sont les seules à avoir une souplesse de mise en marche permettant de compenser instantanément les variations de la production éolienne. » L’Allemagne, pays leader de l’énergie éolienne et qui entend renoncer à l’énergie nucléaire, vient de donner son feu vert à la construction de plus d’une vingtaine de centrales thermiques à charbon. Retour fumeux vers le XIXe siècle ! Sans parler du Danemark, champion de l’éolien et l’un des plus fort émetteurs de CO2 par habitant. En France, plusieurs projets de centrales thermiques sont à l’étude : sur le port du Havre, à Beaucaire, dans le Gard, à Saint-Brieuc en Bretagne, à Bastelicaccia en Corse-du-Sud, à Lucenay-lès-Aix dans la Nièvre... L’envers du décor n’est pas si vert...
Combien coûte l’électricité produite par les éoliennes ? L’arrêté ministériel du 10 juillet 2006 impose à EDF un tarif de rachat de l’électricité produite par les éoliennes de 8,2 centimes d’euro par kilowattheure (KWh), soit 82,8 euros par mégawattheure (MWh), et ce pendant dix ans. Le tarif varie ensuite de 8,2 à 2,8 centimes d’euro le kilowattheure les cinq années suivantes, en fonction des rendements. Plus ils sont faibles, plus le tarif de rachat est élevé. Autrement dit, moins elles produisent, plus elles rapportent ! Les promoteurs sont assurés d’un retour sur investissement même dans les sites les plus mal choisis. Cela ne peut que les inciter à implanter des parcs dans des sites peu venteux, mais aussi encourager certains d’entre eux à limiter leur production dans les sites venteux. Pendant ce temps, la note s’alourdit pour la collectivité. Car ces prix sont bien au-delà des prix du marché de l’électricité, qui fluctuent quotidiennement entre 4 et 5,5 centimes le kilowattheure (40 et 55 euros le mégawattheure). A titre de comparaison, le prix de revient d’un mégawattheure d’origine thermique varie entre 30 et 45 euros et celui d’un mégawattheure d’origine nucléaire descend à 26 euros, selon le Journal officiel du 27 juillet 2006 (lire infographie page 51).
Si ce tarif, supérieur au prix du marché, est une véritable aubaine pour les promoteurs, il pèse sur la facture d’électricité du consommateur. C’est lui qui paie les surcoûts liés aux obligations d’achat d’électricité des énergies renouvelables sous la forme d’une « contribution aux charges de service public d’électricité (CSPE) », mentionnée sur la note d’électricité et qui se monte à 0,53 euro TTC par kilowattheure. Plus EDF achètera d’électricité provenant de l’éolien, plus cette contribution augmentera.
Depuis le 13 juillet 2007, pour bénéficier du tarif de rachat d’EDF, les éoliennes doivent être construites sur une « zone de développement de l’éolien » (ZDE). Mais toutes les demandes de permis déposées avant cette date ont droit au tarif de rachat d’EDF quel que soit l’endroit où les éoliennes se trouvent. Il y a fort à parier que les dépôts de permis de construire remis avant la date fatidique se sont envolés. Leur nombre exact n’a pas encore été éventé...
A qui profite l’argent des éoliennes ? D’abord, selon les différents vocables, à leurs promoteurs, développeurs, opérateurs. Avec un tarif de rachat d’électricité de 82 euros le mégawattheure, chaque éolienne de 2 MW garantit à son promoteur 360 000 euros de revenu annuel pour un temps de fonctionnement moyen annuel de 2 200 heures. Une opération rentable. Le coût de l’éolienne installée se situe, selon France Energie éolienne, entre 1 million et 1,3 million d’euros. Soit un amortissement entre trois et cinq ans maximum. Pas étonnant qu’elles aient le vent en poupe.
On comprend mieux dès lors le mistral de spéculations que fait souffler cette source d’énergie. Le vent vaut de l’or. C’est ainsi que le groupe Suez a acheté 50,1 % des parts de la Compagnie du vent, spécialisée dans la promotion d’éoliennes, pour un montant de 321 millions d’euros. Or, le chiffre d’affaires de la Compagnie du vent se limite à 11 millions d’euros. Mais elle serait « riche » de signatures d’élus pour des permis de construire permettant la production de 2 000 MW. « Ce qui valorise chaque mégawattheure à plus de 300 000 euros, poursuit Christian Gerondeau. Avec 6 à 10 éoliennes et une puissance de 12 à 30 MW, la valeur de chaque signature obtenue varie de plus de 3 millions d’euros à près de 10 millions. Le tout sans le moindre risque. » La manne profite aussi aux fabricants (essentiellement allemands, danois, espagnols). Les grands groupes ne s’y trompent pas et investissent en masse. Quelques exemples : Areva a acheté 51 % de la société Multibrid, un concepteur et fabricant d’éoliennes basé en Allemagne et spécialisé dans les turbines offshore de grande puissance, valorisant l’entreprise à 150 millions d’euros. De son côté, Alstom a pris le contrôle d’Ecotècnia, une entreprise espagnole qui fabrique et commercialise des éoliennes, pour un montant de 350 millions d’euros.
L’argent s’envole, avec quelques retombées – bien plus modestes – pour les propriétaires des terrains et pour les communes. Les premiers se voient attribuer un loyer de 1 000 à 2 500 euros par an et par éolienne. Les secondes perçoivent annuellement, par le biais de la taxe professionnelle, 500 à 700 euros par an et par mégawatt, après une période de déduction fiscale au bénéfice du développeur. On compte aussi quelques retombées pour l’emploi : 5 000 ont été créés, selon le Syndicat des énergies renouvelables, via les bureaux d’études, le travail d’installation et de maintenance des parcs. Mais rien pour les riverains, qui se plaignent d’une dépréciation de leur bien immobilier. Aucune étude n’ayant été effectuée, Notaires de France ne peut confirmer cette donnée. Un signe éloquent toutefois : le groupe d’assurances MMA propose un contrat « garantie revente » qui couvre la perte de valeur de revente des propriétés, notamment en cas d’implantation d’éoliennes à proximité...
Comment se monte un projet ? Une petite brise suffit. Le grand reproche des associations, c’est le manque de transparence dans la création des sites éoliens. « Dans la majorité des cas, les projets sont montés à l’insu des habitants, affirme Jean-Louis Butré. Des promoteurs démarchent des agriculteurs et leur font signer des promesses de bail en faisant miroiter un revenu supplémentaire. Puis ils persuadent les élus avec deux arguments : la taxe professionnelle et l’action citoyenne pour lutter contre le réchauffement climatique. Dans les faits, on constate que nombre d’éoliennes sont situées sur un terrain appartenant aux élus des communes. »
Un diagnostic à peine nuancé par Jean-Yves Grandidier. « Nous essayons d’obtenir une délibération du conseil municipal pour une étude d’implantation, tout en s’assurant la disposition du foncier par la signature de promesses de bail. Les études coûtent cher. » Celles-ci sont à la charge du promoteur qui choisit le bureau d’études. Elles intègrent une enquête sur l’impact des éoliennes sur les oiseaux et une étude sur le bruit. De fortes nuisances ne rendent pas pour autant le projet caduc. Le promoteur peut modifier l’implantation des éoliennes ou proposer, dans son dossier, des mesures compensatoires : contrat d’agriculture durable, aides pour l’achat de friches, proposition d’équipements tels que des visualisateurs de ligne à haute tension pour les oiseaux... Du vent et des verroteries, selon les associations. L’étude d’impact est jointe à la demande de permis de construire déposée dans la commune, qui la transmet dans les quinze jours à la Direction départementale de l’équipement (DDE). Celle-ci examine la légalité du dossier, puis le communique à tous les services de l’Etat concernés (Diren, Drire, Direction de l’aviation civile, Service départemental de l’architecture et des paysages, etc.). Tous émettent un avis – favorable ou défavorable –, qui reste uniquement consultatif. Une majorité d’avis négatifs n’empêche pas l’obtention du permis ! Le dossier est ensuite transmis à la préfecture, qui lance une enquête publique. Puis le tribunal administratif nomme un commissaire-enquêteur, souvent un retraité de l’administration... des gendarmes, des douaniers... pas forcément spécialisés... L’enquêteur rencontre les élus des communes et organise des permanences à jours fixes. Théoriquement, toute personne qui le souhaite peut consulter le dossier et déposer son avis sur un registre. Elle doit faire vite, le vent presse, l’enquête ne dure qu’un mois. Puis le commissaire-enquêteur remet, avec avis, son rapport au préfet qui accorde ou non le permis de construire. Missionnaire de l’Etat, le préfet se trouve souvent en position délicate. Entre le marteau et l’enclume, sa décision est, selon le cas, contestée au tribunal administratif, soit par les associations, soit par le promoteur. Le recours n’arrête pas le processus, mais, dans la pratique, le projet peut être suspendu jusqu’au jugement. En 2004, 33 % des permis accordés ont fait l’objet d’un recours et 27 % en 2005.
Depuis juillet 2007, les ZDE sont initiées par les communes ou les communautés de communes. Elles définissent un périmètre apte à recevoir des éoliennes répondant à trois critères : un potentiel éolien (donc, théoriquement, du vent), une possibilité de raccordement au réseau et la prise en considération des paysages et des monuments. Pour Henri de Lepinet, président de l’Union Rempart, qui regroupe des associations de sauvegarde du patrimoine, « le risque aujourd’hui est de voir proliférer une profusion de ZDE sur l’ensemble du territoire de façon à multiplier les possibilités d’installer des éoliennes. » Peut-être n’a-t-il pas tort. Des éoliennes sur un seul village, et la manne que représente la taxe professionnelle bénéficie dans ce cas à toute la communauté de communes.
Les éoliennes détruisent-elles le paysage ? Un sondage ELP/SER/France Energie éolienne réalisé en septembre 2007 montre que 90 % des Français sont favorables à leur développement. Pour beaucoup, les éoliennes ont bonne image et belle allure. Certains considèrent qu’elles participent à l’organisation du paysage, tout comme, en leurs temps, les aqueducs, les viaducs, les moulins à vent, les voies routières... Mais pour ceux qui sont au pied du pylône, elles sont d’abord des machines posées sur un socle de plus de 1 000 tonnes de béton, pouvant atteindre 150 mètres de haut, qui massacrent leur environnement proche, leur portent ombrage et font du bruit. A titre de comparaison, les plus grands pylônes électriques culminent à 48 mètres de hauteur. « Si une éolienne n’est pas inesthétique, sa multiplication devient catastrophique pour les paysages », affirme Paule Albrecht, présidente de la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France. Même discours tenu par Didier Wirth, président du Comité des parcs et jardins de France : « L’éolien n’a aucun intérêt, ni économique, ni énergétique, ni écologique. Alors, pourquoi sacrifier le patrimoine paysager de la France ? » L’Académie des beaux-arts apporte son soutien dans un livre blanc sur les éoliennes. Elle dénonce leurs dimensions excessives et leur manque d’harmonie avec le paysage. « D’autant que les parcs sont dispersés et que les promoteurs n’hésitent pas à les installer dans des zones protégées : parcs nationaux, régionaux, zones Natura 2000... ou à proximité de magnifiques monuments, constate Philippe Toussaint, président de Vieilles maisons françaises. On oublie que les éoliennes de 150 mètres de haut sont visibles à 10 kilomètres à la ronde. » Les exemples malheureux sont monnaie courante. C’est pourquoi la Réunion des associations nationales de sauvegarde du patrimoine bâti et paysager, surnommé le « G8 du patrimoine et de l’environnement », demande à ce qu’on applique aux éoliennes la réglementation des installations industrielles, que l’on impose une distance de 10 kilomètres par rapport aux sites classés et inscrits, en excluant toute éolienne des lieux protégés. Actuellement, en l’absence de cadre réglementaire, tous les débordements sont permis. Seule reste la concertation au moment de l’enquête publique et... la bonne volonté du promoteur. « S’il y a un impact, il est réversible, assure Jean-Yves Grandidier. Les contrats sont limités à quinze ans, et la durée de vie d’une éolienne est de vingt ans. La loi du 3 janvier 2003 impose aux constructeurs de parcs éoliens de déposer une caution bancaire pour garantir le démontage des installations. » Sauf qu’à ce jour, cette règle n’est que du vent. Aucun décret d’application n’est venu l’encadrer.
Sont-elles bruyantes et dangereuses ? «Vivre près d’une éolienne, c’est subir le bruit d’une centrifugeuse », raconte Auguste Dupont, habitant de Sortosville dont le logement est situé à 320 mètres d’une éolienne. « Avec les vibrations des pales, poursuit-il, ma maison construite sur une dalle de ciment se fissure. » Le ronronnement du frottement des pales se mêle aux grincements provenant des engrenages de l’appareil. Le bruit n’est pas permanent, mais son intensité et sa portée varient en fonction de la vitesse et de l’orientation du vent, et de la topographie des lieux. « Des études sont réalisées par les opérateurs. Et la règlementation impose que le bruit ne dépasse pas 3 décibels la nuit et 5 décibels le jour, explique Jean-Louis Bal, directeur des énergies renouvelables à l’Ademe. Des progrès sont réalisés et les dernières générations d’éoliennes sont moins bruyantes. » Le problème est réel, au point que l’Académie de médecine a pris position. Elle recommande d’installer les éoliennes d’une puissance supérieure à 2,5 MW à plus de 1 500 mètres des habitations, en rappelant qu’à des intensités modérées, le bruit peut perturber le sommeil, entraîner des réactions de stress et se répercuter sur l’état général. Au-delà du bruit et des paysages, les parcs éoliens perturbent l’activité des radars et en particulier des radars météorologiques qui permettent de détecter les vitesses des vents et de prévoir des événements climatiques tels que les tempêtes, les tornades... Un comble ! Mais, comme dit le proverbe, qui sème le vent...
Sites à consuler :
www.thewindpower.net,
www.environnementdurable.net,
www.ventdecolère.org,
www.env.fr