Oui, Arthur Rimbaud a été surnommé « le Fugitif ». Il s’enfuit toujours, Arthur. Il n’est pas de ce monde. Pourtant, il avait commencé par l’option « élève modèle ». (Concours Général). Sa désinvolture étonne dans ce classement universitaire. Il obtient la première place haut la main. Il va passer sa vie à tenter la belle ! Il va fuir le monde réel, « l’homme aux semelles de vent ». Il va fuir les poncifs de la littérature bien pensante, bien formatée. Voyons un exemple :
Je m’en allais les poings dans mes poches crevées
Mon paletot aussi devenait idéal
J’allais sous le ciel Muse et j’étais ton féal.
Oh là là que d’amours splendides j’ai rêvées.
Ici Rimbe (Verlaine l’appelle ainsi) reprend l’image du troubadour mais il transforme la panoplie médiévale. Par le lexique d’abord :
Le mot « paletot » est familier. Indigne de figurer dans un alexandrin.
Arthur fait subir à l’expression « les mains dans les poches » une véritable torture. Les mains deviennent des « poings » et en plus voyez l’allitération « poings poches ». Et c’est pas fini : les poches « trouées » deviennent les poches « crevées. » Vous voyez la différence ? Si, vous la voyez ! Arthur le révolté.
Ensuite l’allusion au monde féodal est légèrement ironique. La « Muse » est l’inspiratrice des poètes au Moyen Age. Mais Rimbe ne s’arrête pas là, il persiste dans l’erreur ! Il fait semblant d’être un « féal ». Le « féal » est une allusion à l’univers de la « féodalité » ! On est « fidèle » à un « suzerain ». On peut supposer qu’il s’agit d’un simple jeu avec Arthur. Arthur est très joueur. Même remarque avec le quatrième vers. C’est une allusion à la princesse enfermée dans sa tour (le « donjon », qui a donné le mot « dame »). Tous les « chevaliers » rêvent d’un amour impossible, dans l’univers de la courtoisie. En particulier « Lancelot du Lac ». Attention, Arthur est très instruit ! Il a obtenu le premier prix au Concours Général dans la catégorie « vers latins ». Rimbaud sait bien que les femmes enfermées dans une tour, ça n’existe pas. Il fait semblant d’y croire. On ne peut communiquer avec lui que par nos « lieux communs ». Comme l’Univers médiéval. Et d’ailleurs le pluriel devrait nous mettre la puce à l’oreille. Les Chevaliers n’ont qu’une seule dame. On pourrait encore faire observer que Rimbaud passe de « je m’en allais » à « j’allais sous le ciel ». Le paysage s’agrandit à la mesure d’Arthur, qui ne connaît aucune limite. Arthur s’oriente par le ciel ! Comme Christophe Colomb. N’oublions pas que Rimbaud a écrit le « Bateau Ivre », et il a découvert son Amérique à lui.
Bon je vous laisse seuls, n’en profitez pas pour faignanter. Je vous laisse le texte, « Ma Bohème » c’est le titre. Voici la suite :
Mon unique culotte avait un large trou.
Petit Poucet rêveur j’égrenais dans ma course
Des rimes, Mon auberge était à la Grande Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où rimant au milieu des ombres fantastiques
Comme des lyres je tirais les élastiques
De mes souliers blessés un pied près de mon cœur.
Bon, ça ira ? Vous reconnaissez les « trucs » d’Arthur. Il est l’insoumis permanent. Il procède à des rejets. (« rimes », « rosée »,) Il désarticule la syntaxe. (« La Grande Ourse » est mise là comme une enseigne de cabaret !). Arthur sème la pagaille partout. Par l’emploi de mots prosaïques (« Culotte, élastiques »). Et aussi de termes détournés de leur sens premier (« frou-frou » s’emploie pour le frottement d’une étoffe. A qui Arthur rêve-t-il ?). Et puis c’est les souliers qui sont « blessés », et vous avez vu la fin ? Le rapprochement entre le « pied » et le « cœur » ? Entre la marche et la passion de l’éternel marcheur, que fut Rimbaud Arthur ?
Mais si, vous pouvez comprendre tout seuls, il suffit de vous mettre sur la bonne voie. Je m’en vais, mais je reviens la semaine prochaine, pour de nouvelles aventures.