
Claude Confortès me fit découvrir un Paris insolite pour moi.
Je me souviens en particulier d’une soirée au Club Saint Germain, au cours de laquelle Claude présentait son livre « l’Innocentement ». Il y avait là l’équipe de Charlie Hebdo, des acteurs, des actrices et l’ineffable Roland Topor.
J’avais demandé à Topor s’il accepterait de venir à la Centrale de Saint Maur, plusieurs détenus connaissaient ses dessins, et même ses chansons.
Topor m’avait répondu par ce grand rire indescriptible, à la limite du satanique :
- Moi, quand j’irai en prison, ce sera comme ça, tu vois…(et il tendait les mains dans l’attitude du type menotté)… aller visiter des prisonniers c’est se donner bonne conscience ! tout le reste, c’est de la merde !
C’était clair et définitif. Aujourd’hui, je pense qu’il n’a pas vraiment tort.
Confortès avait trouvé mon journal « Le Provisoire » par hasard à la Maison de la Presse d’Issoudun, et, aussitôt, il avait manifesté le désir d’y écrire. Il y eut ainsi une période où je fus amené à fréquenter des artistes que je n’aurais jamais eu l’occasion de côtoyer. Et aussi des lieux, à Paris.
Je connaissais déjà Cabu et Cavanna, surtout par l’Union Pacifiste, dont la secrétaire était la berrichonne Thérèse Collet. Cette petite femme avait beaucoup impressionné Cavanna. Mais pas seulement lui. Elle avait été le chauffeur de Louis Lecoin, ce qui n’était pas rien. Dans l’Indre, elle était très populaire dans le milieu des instituteurs, qui la surnommaient affectueusement « Biquette ». Elle s’activait incroyablement à toutes les occasions. Elle vivait avec Raymond Rageau, qui participera au Provisoire sous le pseudo de « Rablais Poitevin » et je participai moi-même dès 1977 au journal du mouvement pacifiste. Je continuerai jusqu’au bout !

Aux assemblées générales annuelles on pouvait rencontrer Cabu, Cavanna, Jacques Grello, Marcel Amont, mais aussi le professeur Théodore Monod, membre de l’Institut, ou Bernard Clavel, et Mouna, grand agitateur de rue du quartier latin, qui continuait une tradition d’humoriste un peu farfelu mais qui, au fond, ne l’était pas. Mouna était un vrai militant pacifiste, écologiste, tendance drôle.
Raymond Rageau était devenu un ami, très rapidement. Il était Inspecteur des Impôts, à moitié à Paris et à moitié en Province. Il vérifiait seulement les comptes des entreprises et il m’apprit un jour, alors que j’avais été moi-même l’objet d’un redressement, que j’avais été forcément dénoncé.
- « Les particuliers sont tous des citoyens ordinaires dénoncés. Il n’y a pratiquement pas d’exception. Tous ceux qui te diront le contraire sont des menteurs… allez tiens ! on va dire bonjour à Alain Vian… le frère de Boris… »
Raymond prenait le repas de midi à Saint Germain des Prés dans une pizzeria où mangeait un homme seul, une sorte d’aristocrate de la solitude, qui avait sa table, toujours la même. Il avait été un animateur de la grande époque de Saint Germain, et il vendait des limonaires rue Grégoire de Tours, pas très loin de l’ancien « Tabou », haut lieu des festivités germanopratines animées par son frère Boris.
Vers 1980, le souvenir des années 45-50 était encore présent, et Boris Vian, comme d’ailleurs Mouloudji, Brassens et Léo Ferré, ou Juliette Gréco, Catherine Sauvage et tant d’autres, avaient chanté à la Mutualité pour soutenir l’action de Lecoin. Il avait eu la participation de Jean Rostand et de Michel Simon, d’Yves Montand et de Simone Signoret.
L’Union pacifiste avait une grande influence, parce qu’elle acceptait évidemment des sensibilités diverses : Robert Jospin, le père de Lionel, mais aussi l’abbé Pierre, le Pasteur Roser et des anarchistes de grand talent comme Maurice Laisant.
Maurice Laisant était le fils d’un élu radical, et il avait passé sa vie à vendre du matériel de coiffure : des peignes, des rasoirs, comme dans la chanson de Boris Vian. Poursuivi en diffamation pour son soutien aux objecteurs de conscience, il avait été défendu au Tribunal par Albert Camus. Le même Albert Camus avait participé, avec Lecoin, à l’élaboration d’un statut des objecteurs de conscience.
Le fait d’avoir rencontré ou simplement croisé la plupart de ces personnalités connues et contestataires n’avait pas de conséquences pratiques pour moi, elles ne me donnaient pas d’avantages matériels, mais elles me confortaient dans l’idée que j’étais sur la bonne voie. Et je voyais bien que les milliers de lecteurs du Provisoire étaient aussi sur la même voie…
Rolland HENAULT
Extrait de : « Le Provisoire, quand les Berrichons étaient évolués » paru aux Editions La Bouinotte (2007)