Absolument inadmissible, cette prétention des va-nu-pieds à améliorer leur sort par l’action collective. Intolérable, l’effort désespéré de ces manants pour mettre fin à la misère et à l’ignorance. Si la classe possédante les déteste, ce n’est pas pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils sont.
Aux yeux des charognards d’aujourd’hui, les Gilets jaunes ne valent pas mieux que les Communards : ce sont « des hordes qui ont tout détruit sur leur passage, rêvant de marcher sur l’Élysée pour le mettre à sac et pour placer la tête du président sur une pique ». Ces sauvages rappellent « les Khmers Rouges entrant dans Phnom Penh pour la nettoyer et la vider. Avec cette différence : les réseaux sociaux, la manipulation des médias ont donné une caisse de résonance instantanée aux vandales », écrit Pascal Bruckner, héroïque sentinelle du capital, dans « Le Point » du 10 janvier 2019. Quand on sait l’unanimité haineuse de la presse bourgeoise contre ce mouvement populaire, son propos relève sans doute de l’humour involontaire.
Pour son collègue Frantz-Olivier Giesbert, la motivation de cette foule nauséabonde est nettement plus prosaïque, et ce laquais des puissants nous délivre avec condescendance sa psychologie de comptoir émaillée de métaphores animalières : les Gilets jaunes sont « des hordes de minus, de pillards, rongés par leur ressentiment comme par des puces », écrit-il dans « Le Point » du 13 décembre 2018. Des minables dévorés par l’envie et la jalousie, voilà tout. Même registre, déjà, contre les Rouges de 1871 : « L’origine de la Commune remonte au temps de la Genèse, écrivait Maxime Du Camp dans «Les Convulsions de Paris», elle date du jour où Caïn a tué son frère. C’est l’envie qui est derrière toutes ces revendications bégayées par les paresseux auquel leur outil fait honte, et qui en haine du travail préfèrent les chances du combat à la sécurité du travail quotidien ».
Convoquer la Bible à l’appui de l’ordre social, le procédé ne date pas d’hier et il traverse le temps. Ces gueux en gilets jaunes, eux aussi, ne sont-ils pas la lie de l’humanité, dont les coupables égarements sont passibles d’un châtiment divin ? Pour Bernard-Henri Lévy, s’exprimant devant le CRIF le 18 novembre 2018, aucun doute n’est possible : « Le peuple, celui qui ne respecte rien que lui-même, celui qui dit : « on est le peuple, et parce qu’on est le peuple on a tous les droits, absolument tous, à commencer par celui d’enfreindre la loi », eh bien ce peuple-là, mes chers amis, je me permets de vous signaler que c’est contre lui que se déchaîne la sainte colère de Dieu ».
Yahvé et LBD, même combat.
Il faut dire que ces Gilets jaunes inspirent aux intellectuels bourgeois en service commandé une répugnance instinctive. Décidément, cette plèbe enragée concentre tous les mauvais instincts. Elle sent le soufre. « Mettre un gilet jaune, c’est revêtir la honte », déclare Philippe Val, qui est passé de Charlie-Hebdo à France-Inter comme on change de chemise et de compte en banque. On feint d’ignorer leur programme, et on y voit les pitoyables représentants d’une France provinciale méprisée par ces muscadins de la presse bourgeoise.
« Qui sont ces Gilets jaunes et que veulent-ils ? » demande Laurent-David Samama dans « La Règle du Jeu », le 4 décembre 2018. « Les premiers concernés n’en savent rien, et ne cherchent d’ailleurs pas à répondre. Coincés entre un Burger King, un Kiabi et un centre Leclerc, tenant les rond-points de la France moche en se rêvant Sans-Culottes, tout juste se perdent-ils, lorsqu’on les interroge, dans le gloubi-boulga incohérent de leurs doléances ».
Mais si l’on creuse un peu, assurent ces chiens de garde, on découvre alors le pire, sournoisement tapi dans l’ombre. « On commence par le référendum d’initiative populaire et on finit par l’antisémitisme. On commence avec Rousseau et on finit avec Doriot. Mais c’est pas les marges, ça, c’est le cœur du mouvement », assène Bernard-Henri Lévy sur Europe 1, le 18 février 2019. Des antisémites, bien sûr, et manipulés par l’étranger, de surcroît. Journaliste à France-Culture, Brice Couturier, dans un tweet du 1er décembre 2018, est catégorique : « Poutine est à la manœuvre. Une petite guerre civile en France ferait bien ses affaires ».
Des mensonges à la chaîne, qui sont les mêmes que ceux qu’étrillait Marx à propos de la Commune dans sa lettre à Liebknecht, le 6 avril 1871 : « De tout le fatras qui te tombe sous les yeux dans les journaux sur les événements intérieurs de Paris, tu ne dois pas croire un mot. Tout est mensonger. Jamais la bassesse du journalisme bourgeois ne s’est mise plus brillamment en évidence ».