Des esprits malintentionnés se gaussent actuellement de la mésaventure arrivée à M. Saddam Hussein, qui exerce la profession de chef d'Etat à Bagdad (Irak). Cet ardent défenseur des pauvres vient de se voir purement et simplement voler son véhicule personnel par son collègue George Bush, qui exerce la même profession, mais à Washington (U.S.A). Voici quelques précisions sur cette affaire qui défraye la chronique actuellement dans les bidonvilles, ses gourbis et autres favelas.
M. Hussein, qui défend avec la vigueur que l'on sait la cause des pauvres en terre musulmane plus ou moins sainte, avait fait l'acquisition d'une automobile de marque Cadillac pour la somme de 1 600 000 F (cent soixante millions de centimes). On peut s'étonner de ce luxueux achat chez les impérialistes yankees, de la part d'un humble fellah avant tout préoccupé du bonheur de ses sujets.
Mais on peut aussi comprendre M. Hussein : ce n’est pas en débarquant dans les réunions internationales, tout juste descendu d'un vieux chameau d'occasion, les orteils dépassant de ses vieilles babouches achetées en solde chez Tati qu'il passera pour un intervenant sérieux dans le dialogue Nord-Sud ! Non, il lui faut de la tenue ! Quand on a seulement le matos, les AMX, les Mirage et les Exocet, sans la Cadillac ni la djellaba de chez Yves Saint-Laurent, on passe pour un peigne-cul qui renifle le pétrole brut et la crotte de fennec (1).
On observera d'ailleurs que le prix du véhicule est parfaitement justifié si l'on considère l'épaisseur des tôles qui composent la carrosserie dudit : environ cinq centimètres d'un acier de bonne qualité. Cette particularité est souvent rendue nécessaire pour un chef d'Etat qui a toujours plus ou moins à redouter l'enthousiasme des foules, enthousiasme qui se manifeste chez les pauvres par le jet de cailloux fort pointus, de barres de fer de section importante quand ils sont mieux alimentés, de projectiles carrément militaires quand ils ont un peu d'argent de poche.
La nécessité de se protéger est d'ailleurs admise par tous les chefs d'Etat du monde, le pape lui-même, pourtant enroulé en permanence dans une auréole de sainteté renforcée de grâce divine et huilée d'une décoction de Saint-Esprit, ayant éprouvé le besoin de renforcer encore ce dispositif par l'adjonction d'un blindage d'acier sur sa fameuse papamobile. Et l'on se souvient que ces précautions n'ont pas toujours freiné le zèle de certains catholiques à mitraillettes.
Or, qu'est-il arrivé à ce brave M. Hussein ?
Il avait, comme tous les ans, expédié sa voiture aux U.S.A. pour le graissage-vidange et une vérification de routine. Dans le désert, en effet, les stations-services sont rares, les pauvres de ce pays ayant coutume de se déplacer assis sur le dos d'un chameau, ou d'un bourricot, moyens de locomotion dont les fiches techniques sont assez différentes des Cadillac, et qui d'ailleurs ne se vidangent pas.
Seulement voilà, depuis le début du mois d'août, M. Hussein a cru bon de garder en otages un certain nombre d'électeurs, non blindés, de M. Bush. Du coup, M. Bush garde la Cadillac en otage. C'est donnant donnant. Et voilà ce pauvre M. Hussein contraint de rester chez lui, bien à l'abri en des lieux hors d'atteinte de l'enthousiasme énorme qu'il provoque dans la région du Golfe.
Il ne lui reste désormais, s'il veut continuer à faire du tourisme ou à prendre des bains de foule sans danger, qu'une seule solution : faire blinder un chameau. Mais, même les lecteurs qui ne sortent pas de Polytechnique auront vite saisi les considérables contraintes technologiques qui s'opposent à un projet aussi audacieux.
Rolland HENAULT (« Articles » Volume 5 - 1996-1989 aux Editions de l’Impossible)
(1) On notera, j'espère, la solide documentation ainsi que la couleur locale qui agrémentent cette rubrique.