Il devient de plus en plus difficile de trouver de bons poulets. Certains lecteurs, qui ont mauvais esprit, pourront me rétorquer que le bon poulet, ça n'existe pas. D'autres, encore plus catégoriques, m'assureront qu'un bon poulet est un poulet mort.
Manifestement, il y a confusion sur le mot. Un peu d'ordre, s'il vous plaît ! Le poulet vient évidemment de la poule, qui vient elle-même du latin "pulla", lequel "pulla" est le féminin de "pullus", le "petit d'un animal". Au XIIIe siècle, le mot désigne la femelle du coq, et quand on l'abrège en supprimant la dernière lettre, le "poul" est un coq ! Le coq est né d'une onomatopée, "coc", et ce simple cri a éliminé le "jal", venu pourtant fort naturellement du latin "gallus".
En berrichon, on disait encore "le jau" qui n'a rien à voir avec le prénom "Jo". Revenons à nos poulets, qui ne sont pas toujours des gallinacés, et des oiseaux de basse-cour.
Depuis déjà longtemps, disons un peu moins d'un siècle, le poulet est un inspecteur de police en civil, car il "picore" des renseignements. Le poulet est aussi un "billet doux", à cause du fait qu'il est "petit". Je hasarde cette explication aventureuse, puisque le "poulet" est clandestin, utilisé plutôt pour des amours illégitimes, destiné à passer en fraude. Et puis c'est bien connu, les mots d'amour, quand c'est trop long, c'est gonflant, à force. ("Gonflant", ça signifiait "marrant", encore sous la plume de Jean- Paul Sartre. Comme ça veut dire "exagéré", on peut toujours penser qu'un type "gonflant", c'est quelqu'un qui exagère, qui abuse de votre gentillesse, qui vous "gonfle de paroles". Origine non contrôlée, on est en août, il fait très chaud, merci de me comprendre !)
Oui, mais les autres poulets, les inspecteurs de police, c'est bien aussi tous les gendarmes, tous les policiers, tous ceux qui vous vérifient votre identité, pour vous rendre service, pour le cas où vous l'auriez oubliée. Vous avez raison, le sens s'est étendu, semble-t-il, à l'ensemble de ce corps de fonctionnaires. Ces poulets sont en quelque sorte "polyvalents" (il s'agit d'autres "presque poulets", les "poulets des impôts"). Quant à la "poule", c'est une femme, qui dépend "de son amant ou de son souteneur". Amant, souteneur, même combat, je n'invente rien, c'est Alain Rey qui le suggère. Il ajoute que c'est "une femme de vertu légère et... d'accès facile !" C'est moi qui indique la ponctuation. Je le trouve bien malicieux, Alain Rey, pourquoi ne pas nous parler du "garage à bite" comme dans les troisièmes mi-temps des sportifs ?
Redevenons corrects. La poule est une maîtresse, une amie, une concubine. La poulette est une jeune poule, une très jeune femme, ou une femme de petite taille. Et on emploie le mot, en français, depuis le XVIe siècle, sans aucune valeur péjorative, contrairement à la poule. En effet, "poulette", comme féminin de "poulet", le policier, est attesté, comme on dit, mais pratiquement inusité. Ça pourrait changer depuis que le ministère de l'Intérieur place des super nanas dans les commissariats. En attendant, il nous faut rappeler que la "poulaille" désigne le public du poulailler au théâtre, c'est-à- dire les spectateurs des galeries les plus hautes et les moins chères, celles d'où on ne voit pas la scène. Mais la poulaille c'est aussi la police en général, mot inventé d'après "poule".
Ce poulet, finalement, reste bien gentil pour qualifier une profession où l'on ne se montre pas toujours si tendre, tendre comme un poulet.
Alors on pourra parler des "cognes", qui sont les gendarmes et les agents de police, depuis le début du XVIIIe siècle. Victor Hugo fait dire à Gavroche : "On ne dit pas les sergents de ville, on dit les cognes". Traitez un gendarme de "cogne", puis sortez les Misérables de votre poche, en principe, il n'y a pas outrage. Méfiez-vous quand même, beaucoup de cognes n'ont pas lu Victor Hugo. Or "cogne", évidemment, vient de "cogner", "frapper avec violence" mais aussi "sentir mauvais". Quand ça sent mauvais, pour un gars du "milieu" (pas un gars du Centre en politique, un gars du vrai milieu, celui des braqueurs), c'est que la police n'est pas loin, ça cogne, donc. A noter que, au sens propre, les gendarmes ont la réputation de frapper rarement. Les policiers, par contre, travaillent davantage avec leurs poings, c'est plutôt à eux qu'on devrait réserver le mot "cogne" et dans les circonstances où ils ont vraiment "cogné", comme à Gênes, récemment.
Autre joli nom pour éviter la répétition avec "poulet", le mot "bourre", qui vient tout simplement de "bourrique". Pourquoi "bourrique" désigne-t-il un policier, alors que c'est un "âne" ? Mais c'est une erreur, cher lecteur. A-t-on déjà vu des policiers bêtes comme des ânes ? Vous voyez bien que non.
Finissons sur une curiosité. "Bourrer" et "Cogner" signifient également, tous les deux, "posséder sexuellement".
"Bourrer un flic", bof... mais tous les goûts sont dans la nature !
Rolland HENAULT ("Articles 2001-1996", Editions de l'Impossible)