L’hiver, il fait assez communément plus froid que l’été, dans nos régions, et les sans abris, qui aiment le grand air et le contact avec la nature, adorent coucher dehors, souvent sur les trottoirs dans les grandes villes. A Paris, sous le métro Stalingrad, un lieu qu’ils affectionnent, devant le siège du Parti Communiste, l’immeuble du « Colonel Fabien ». On leur a d’ailleurs aménagé de somptueux canapés et ils disposent ainsi d’une maison sans murs, sans toit, sans chauffage, mais meublée. Quand je dis « on », je ne sais pas qui est à l’origine de cette œuvre caritative charmante qui permet en outre d’observer les pauvres dans leur milieu naturel.
Or, lorsqu’on est curieux, comme je le suis de nature, on va vers les pauvres et on engage le dialogue. J’avise un petit maigrichon, qui devait avoir beaucoup souffert de la malnutrition, vu qu’il flottait dans son pantalon trop large et trop long. Il était équipé par ailleurs d’une paire d’oreilles décollées et rougies par le froid.
-Que vous est-il arrivé, mon brave ?...vous êtes dans un drôle d’état ? Pourquoi ne travaillez-vous pas ?...même au SMIC, ça vous permettrait de louer une tente…alors qu’ici, sous le métro aérien, vous êtes en plein courant d’air !
C’était un être d’une grande noblesse et l’on sentait que la générosité l’avait privé des biens de ce monde :
-Vous savez je suis né à Neuilly sur Seine, dont j’ai même été le maire, et puis, à un moment j’ai eu honte d’être aussi riche et favorisé par le sort…
-Ces sentiments vous honorent, mon brave…
-Nicolas, appelez-moi Nicolas, ne faites pas de manières avec moi !...j’ai toujours rêvé d’être pauvre…c’est une belle expérience, très enrichissante ! ça me permet de connaître l’existence des dix millions de Français qui sont comme on dit « au-dessous du seuil de la pauvreté »…et puis ma femme est avec moi, nous sommes très unis…regardez-là…
Je vis alors une pauvre créature qui ressemblait à la mère Thénardier dans les « Misérables ». Elle s’appelait Carlita :
-Au début je voulais être « hétaïre », prostituée de luxe si vous préférez, comme elles sont toutes dans la bourgeoisie bien élevée. Et puis j’ai fait le grand saut, après en avoir fait beaucoup de petits, je me suis sentie prise par la vocation de la fraternité. Je me disais : « je vais aller voir l’abbé Pierre, il paraît qu’il allait aux putes dans sa jeunesse ». Il m’a répondu qu’il agissait ainsi par charité, c’est mieux que la justice, vous n’avez qu’à lire Roland Barthes dans « Mythologies », le chapitre s’appelle « Iconographie de l’abbé Pierre »….Hélas je ne savais pas lire. Barthes, le footballeur ? Non ce n’était pas le même !
J’ai laissé là ce couple à la dérive, j’avais de quoi faire une bonne émission pour TF1, avec un débat, vous savez ces débats où l’on s’entraîne avant, on choisit le bon et le mauvais…et puis on parle de choses incompréhensibles, avec des mots dont les gens du peuple ne saisissent pas le sens, ni nous d’ailleurs, c’est fait pour ça. De toute façon, le premier qui ouvre sa gueule on lui coupe le micro. Je vous ai dit d’écouter le dernier CD de Guy Béart il y a une chanson qui dit ça très bien : « La télé Attila ». Vous avez remarqué comme c’est culturel, ce début ? Et alors, pourquoi les lecteurs de l’Echo ne pourraient-ils pas comprendre la culture ? Dans le supplément « Culture », en plus…
Mais je poursuis ma visite, je ne vous laisse pas frémir d’impatience ! Je ne vous laisse pas mariner le pénis dans le trou du cul de Mr Fion, qui serait un ministre de l’UMP !
Et me voici justement en présence d’un délinquant. Non, ce n’est pas le préfet de l’Indre, lui, il a obtenu une promotion, quand la délinquance atteint un certain niveau c’est une bonne action. Quand il s’agit d’un misérable qui vole au supermarché, c’est un récidiviste, même avant qu’il ait commencé ! La vraie faute, le vrai crime, en 2010, c’est d’être pauvre. Un pauvre a toujours quelque chose à se reprocher ! Par exemple, vous volez de la nourriture, même très dégueulasse et toxique, dans un hypermarché, vous voilà condamnés à 20 ans de bagne ou à la prison à perpétuité.
J’avise donc un de ces amateurs de froid et de faim et je lui demande, pour mon reportage (assez bien payé, je ne vous dis pas le chiffre, et je passerai chez Drücker, pour le livre qu’un nègre est en train d’écrire, sur moi. Et tout le public, qui s’appelle l’audimat dans ce cas-là, sera convaincu, et on sera réélu en 2012. De toute façon, c’est pas nous qui dirigeons, mais des sociétés dites « multinationales » ou « transcontinentales ». Nous, nous profitons seulement, en nous bagarrant devant la soupière, comme font les chiens, les mauvais chiens, les « Chiens de garde du Capitalisme ». Je vous avais dit : lisez Paul Nizan ! Mes excuses à tous les bons chiens.)
Donc ce gars me répond :
-Je m’appelle Jean Valjean ! Je joue un rôle dans « Les Misérables » et la grognasse avec la chèvre, elle joue le rôle de la « Esméralda », autant dire qu’elle est « du Voyage ». Son vrai nom c’est Christine Boutin !
J’ai appris que ces deux scènes étaient les fleurons de la culture engagée, « Les Misérables » et « Notre Dame de Paris » d’un nommé Victor Hugo.
Du théâtre de rue, si vous préférez. Ils avaient embarqué les vrais pauvres pour l’hospice de Nanterre et ils jouaient la misère, devant le siège du Parti Communiste, sans son autorisation !
Il y a des jours, comme ça, aux approches des « Fêtes », on se met à penser à des contes d’autrefois : Staline, Lénine, Karl Marx, Bakounine, Orwell…
Il y a des jours où on redeviendrait méchant, c'est-à-dire juste, et je crois bien qu’on aurait raison. Et on aurait peut-être une médaille, en plus ?