Il est parfois utile de connaître les auteurs qui nous ont précédés, ne serait-ce que pour nous débarrasser des êtres humains en surnombre. Ainsi chacun connaît la « Modeste proposition » de Jonathan Swift à la solution de la surpopulation en Irlande au 18ème siècle. Swift nous est précieux en 2015. Nous assistons en effet à une véritable inflation concernant les chiffres de production de cadavres. On ne sait plus quoi en faire ! Eh bien il faut les manger ! Il y a assez d’émissions sur la cuisine à la télévision. J’en arrive tout de suite au choix qui présidera à l’obtention de bons produits et après nous passerons aux recettes.
Car il y a cadavre et cadavre, selon qu’on se contente de voyageurs en A320 ou de migrants entassés sur de frêles embarcations. Les deux variétés sont bien différentes. D’un point de vue strictement marchand, il vaut mieux acheter des victimes d’un crash aérien plutôt que des noyés de la Méditerranée. Le cadavre aérien est meilleur pour la santé. Il a été élevé au grand air. Oui mais l’eau de mer est proche de la saumure. On choisira selon ses goûts. La saumure plaira aux marins amateurs de conserve. Les terriens pourront préférer l’animal élevé dans les hauteurs. Evidemment, ces marchandises ont un prix. La chair conservée dans l’A320, même pressurisée, plaira aux amateurs de cuisine élaborée. On sait que les passagers de l’A320 sont nourris dans des pays où on n’a manqué de rien. Ils sont donc garantis purs bourgeois. Mais on peut s’encanailler avec les produits conservés dans l’eau salée. C’est une question de goût personnel. La seconde observation concerne la qualité de la viande. On s’habituera à la viande noire ou légèrement teintée. On accordera un soin particulier aux pâturages d’origine. Le Moyen Orient offre des saveurs délicates, et certains amateurs seront sensibles aux raffinements de la cuisine orientale. Le choix est ici une affaire personnelle. Certains pencheront pour la femelle élevée sous voile à l’abri des insectes. D’autres préfèreront sucer des os et ils seront attirés par les nouveaux-nés. Le pays d’origine est laissé au choix de l’amateur. Principaux pays producteurs : la Libye, la Syrie, les Emirats arabes… Les amateurs de viande franchement noire auront un faible pour les produits soudanais ou congolais. Mais on pourra s’approvisionner directement sur les marchés italiens. Le voyage au pays d’origine n’est donc pas indispensable. Inutile de prévoir un safari coûteux au cours duquel on n’est pas certain d’attraper du gibier. Le nouveau-né congolais présente un nez boisé, et la saveur de l’africain est forte. On la déconseillera aux âmes sensibles dont les papilles gustatives ne sont pas habituées aux saveurs exotiques. Pourtant un gigot de soudanais présente une finesse inaccoutumée. On peut préférer la cuisson à la vapeur, ou l’arrière-train cuit comme le pot au feu. Autre solution, le soudanais cuit à la broche. Consultez les livres de cuisine.
Mais les racistes carnivores sont étrangers à l’expérience culinaire. Ils sont enfermés dans des préjugés dont vous ne les sortirez jamais. Mieux vaut les accepter comme ils sont, et s’ils préfèrent la viande blanche, laissez-les faire. On attirera leur attention sur le fait que les cadavres des Airbus 320 se présentent souvent sous forme de très petits morceaux. Bref le hachis Parmentier est préparé d’avance et le barbecue en même temps. Les amateurs de cuisine se sentiront frustrés et on les comprend. Ils se consoleront en pensant que les morceaux grillés ont été assaisonnés aux herbes de Haute Provence.
Restent tout de même les victimes des attentats terroristes et des tueurs en séries. Disons le tout de suite il s’agit de denrées très rares par rapport aux cadavres des deux variétés précédentes. Et, en dehors du fait qu’ils sont généralement bien nourris ils ne présentent aucune saveur typique du pays d’origine. Ils sont tous alimentés à la mode européenne, voire américaine et c’est encore pire.