Les manifestations générées par la crise des ordures se sont étendues et comprennent désormais des revendications relatives à l’élimination de la corruption politique en général
Le mouvement de protestation au Liban qui a commencé comme une manifestation contre la crise des déchets du pays a attiré l’attention pour une autre raison : chose rare, les manifestants dans les rues scandent leurs revendications indépendamment des groupes communautaires/sociaux et des partis politiques.
Le 17 juillet, le contrat du gouvernement avec la société de nettoyage Sukleen a expiré, entraînant la suspension des services de collecte des ordures. Les déchets se sont entassés dans les rues, le soleil brûlant de l’été accentuant l’odeur nauséabonde et des monceaux répugnants obstruant les routes et les carrefours.
Alors que cette crise constitue un des signes les plus évidents de l’effondrement des services de l’État, le mouvement de contestation, en raison d’une participation étendue et variée, a élargi l’éventail de ses revendications à la corruption politique au sens large, aux inégalités auxquelles sont confrontés les nombreux réfugiés et à la situation socio-économique qui accable ce petit pays.
Escalade des manifestations
Le mouvement de protestation n’a que quelques semaines, et la formation de différents groupes a alimenté cet élan, au lieu de le faire capoter.
Le plus connu de ces groupes, le mouvement « You Stink », a été créé par des militants de la société civile en réponse à la crise des déchets début août. Bien que ses membres aient davantage d’influence sur les réseaux sociaux que dans les rues, il n’en restait pas moins le premier groupe à réussir à rassembler un grand nombre de personnes pour manifester. Leur revendication initiale était la démission du ministre de l’Environnement, Mohammed Machnouk, et le traitement de la crise des déchets comme un problème environnemental distinct des autres questions politiques. Ce mouvement insiste sur l’action directe non-violente et sur sa non-participation à l’action politique, de peur de sa récupération par des partis politiques.
Pourtant, les manifestations se sont engagées dans une autre voie lors du weekend des 22 et 23 août, lorsque des milliers de manifestants ont occupé les principales places de Beyrouth. L’élément déclencheur serait le comportement des forces de sécurité libanaises, qui avaient répliqué avec force lors d’une manifestation tenue quelques jours plus tôt. Des vidéos montrant la brutalité de la police sont devenues virales. Selon Moe Ali Nayel, un journaliste basé à Beyrouth, de nouveaux groupes de manifestants ont été mobilisés et ont revu les revendications à la hausse pour y inclure des questions politiques, telles que la « démission de ministres spécifiques, de l’ensemble du cabinet et même le renversement de l’ensemble de la classe politique. »
« Le cadre initial du mouvement You Stink a été remplacé par des appels à la démission du gouvernement », a déclaré Nayel, « mais, par défaut, cette campagne est restée la représentation publique dominante des manifestations. »
Des infiltrés ou une classe ouvrière en colère ?
Les tensions entre les organisateurs du mouvement You Stink et d’autres groupes ont commencé le 23 août. La veille, des milliers de manifestants avaient fait face à la violence policière. Même les médias n’ont pas été épargnés. Selon Joey Ayoub, l’un des organisateurs de You Stink, des retransmissions en direct et des vidéos ont capturé les images de ces violences, prouvant que celles-ci étaient presque totalement unilatérales – c’est-à-dire, du fait de la police.
« Cela a commencé avec des passages à tabac qui ont été suivis peu après par les canons à eau et les gaz lacrymogènes », a déclaré Ayyoub à Middle East Eye. « Vous pouvez clairement nous entendre crier ‘‘silmiya, silmiya’’ [pacifisme]. Il aura fallu attendre plusieurs heures avant que le gouvernement ordonne aux forces de sécurité de cesser le feu. »
Le lendemain, la manifestation sur la place Riad al-Solh a tourné au vinaigre quand de violents affrontements – impliquant notamment des tirs à balles réelles en l’air et des jets de cocktails Molotov – ont eu lieu entre la police et les manifestants. Le mouvement You Stink n’a pas tardé à qualifier les manifestants qui s’étaient engagés dans ces affrontements comme des « infiltrés » et des « émeutiers » et a cherché à se distancer.