Mon grand-père disposait d’un très grand couteau. Et il disait en nous le montrant : « … regardez-le bien ! ». Il en a zigouillé, des boches, celui-là… ». Et il nous faisait le récit des victimes de son couteau à zigouiller les boches. Alors mon grand-père revoyait toutes ses actions héroïques depuis longtemps. Il disait, pour se mettre en bouche :
-« Je commence par les vieux chnoques. On les appelait les allamans. Je me souviens » et il prenait à témoin son couteau à zigouiller, « en ce temps-là les Allemands on les appelait pas les boches, mais les Huns… ». Il reprenait parce qu’il s’essoufflait vite, il faut le comprendre, Alphonse : « …Et puis quand on en avait zigouillé suffisamment, on en faisait un paquet et on les mangeait. Dans les guerres modernes, ça se fait plus. Pourtant il y a des gens qui crèvent de faim. »
« Et nous on renouait avec la vieille tradition des cannibales », c’est ce qu’il disait, mon grand-père et il ajoutait : « la viande de boches, si on n’a pas de préjugés, ça sent un peu le cochon ». Ah ! du temps de mon grand-père on savait faire des économies !
Ils mangeaient même les petits enfants et les seniors. On disait pas les seniors, on disait les « vieux schnoques » et pour les nourrissons, on les enfilait (non, pas de cochonneries ! on n’est pas chez les cathos genre Barbarin) et on les faisait cuire à la broche. Et ils se racontaient de bonnes histoires à la veillée. Des histoires de cannibales, et ils évaluaient comme dans les restaurants gastronomiques : « celui-là, il aurait fallu le griller plus longtemps ! » En tout cas on jetait rien dans les poubelles, à l’époque, et il n’y avait pas de gaspillage à la porte des supermarchés. Il faut dire que les supermarchés étaient plus rares qu’en 2016. Grâce aux guerres, on avait évité bien des nuisances. Mon grand-père disait : « un cadavre de boche ça pue… ça se conserve quinze jours tout au plus… après la date limite de consommation est dépassée… » On risque les intoxications alimentaires. Et mon grand-père montrait la lame de son couteau à zigouiller les boches…
Or un jour on a voulu tromper mon grand-père Alphonse. Il s’en est tout de suite aperçu, en mangeant la viande, et il est parti d’un fou rire d’abord et ensuite il a failli s’étouffer d’indignation : « vous me ferez pas croire que c’est du boche, cette viande-là… »
Et en effet Alphonse avait dépisté la fraude. Ce scribe avait confondu la bataille de Fontenoy avec la libération de la France. Il faut reconnaître que Fontenoy on peut confondre avec Fontenay…
Il y avait tromperie sur la qualité de la marchandise. Et mon grand-père allait répétant : «… c’est pas du boche… c’est un erzatz… votre viande… le boche ça n’a pas ce goût-là…» Il menaçait de se plaindre auprès des instances officielles européennes. Ca pouvait créer un incident diplomatique. Car mon grand-père Alphonse était très pistonné auprès des médias. Il connaissait Jean Pierre Coffe et il avait ses entrées au guide Michelin.
Des enquêtes furent diligentées par les services secrets des pays de l’Union Européenne et on se trouva devant un étonnant cas de figure. En effet, un scribe du 18ème siècle avait bêtement commis une faute d’orthographe dans la date. Alphonse eut le triomphe sonore. Il claironna partout : « Je savais bien que c’était pas du boche… »
L’historien de service s’était planté dans la date. Il avait confondu avec l’appel du 18 juin et on était le 17 mai 1745 ! Et Alphonse répétait :
« On sait ça qu’ c’est les Saxons ! Ca n’a pas le même goût que les boches… »
Et alors on vanta le palais d’Alphonse, et il fut proposé pour la Légion d’Honneur. Et il est maintenant au Panthéon. Inhumé avec son fameux couteau à zigouiller les boches.
Et pour cette raison on n’invite jamais Angela Merkel pour une visite officielle au Panthéon.
Et on entend la voix d’Alphonse, un peu étouffée : « Faut pas me la faire ! Je suis un vrai héros, moi… et je suis toujours prêt à zigouiller un boche…Y compris les gonzesses ! »