Fondée en 1990 par Bernard-Henri Lévy, la revue La Règle du Jeu a fêté à la fin de 2010 ses vingt ans au Flore, le café que fréquentèrent autrefois Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, en face l’église Saint-Germain-des-Prés. Les temps ont bien changé et le quartier aussi. Le grand luxe y a détrôné l’existentialisme. Pour cet anniversaire, le Flore a accueilli de nombreux invités. Une foule disparate où l’on trouvait des intellectuels certifiés, des journalistes établis et quelques hommes politiques importants. Une oligarchie des lettres et des arts, de la presse et des médias bien plus que des affaires et de la politique. Mais une oligarchie non dépourvue de pouvoir en ces temps de communication de masse.
L’anniversaire de la revue de Bernard-Henri Lévy met en évidence un capital culturel de grande ampleur par la présence d’une « intelligentsia » dont les qualités peuvent être éventuellement discutées, mais qui représente un pouvoir considérable dans les structures de production des biens culturels. Les gens de lettres étaient foison, depuis Philippe Sollers jusqu’à Milan Kundera en passant par Christine Angot. Belle brochette pour l’information écrite avec Laurent Joffrin, directeur de Libération, Etienne Mougeotte, qui occupe le même poste au Figaro, Franz-Olivier Giesbert, qui dirige Le Point, ou encore Maurice Szafran, directeur de Marianne, et Nicolas Brimo, administrateur délégué au Canard enchaîné.
Côté ondes hertziennes, un choix de gourmet : Jean-Luc Hees et Philippe Val, respectivement présidents du groupe Radio France et de France Inter. Pour la télévision, on citera Michèle Cotta, ancienne directrice de France 2, Thierry Ardisson et Marc-Olivier Fogiel, sans oublier le principal intéressé de la soirée, Bernard-Henri Lévy, qui, entre autres liens avec les chaînes publiques, a été reconduit en 2009, pour cinq ans, et à la demande de Nicolas Sarkozy, à la présidence du conseil de surveillance d’Arte, où il siège depuis 1993.
Mais l’hôte du Flore n’est pas sans contacts avec le monde des affaires. Bernard-Henri Lévy lui-même est, selon le Who’s Who, le fils d’un président de société. L’entreprise de négoce de bois de la famille Lévy, la Becob, a été rachetée en 1997 par M.François Pinault. Les relations entre le philosophe et l’homme d’affaires semblent cordiales. Dans son rôle de mécène, M. Pinault n’oublie pas de soutenir les affaires de Bernard-Henri Lévy, dont la production de films. Celui-ci tient une chronique régulière dans Le Point, propriété de M. Pinault. M. Xavier Niel, actionnaire majoritaire et dirigeant historique du groupe Iliad (Free), douzième fortune professionnelle de France selon Challenges, représentait également le patronat lié aux médias et à la communication. L’un des deux autres propriétaires du Monde, M. Pierre Bergé, ancien président-directeur général d’Yves Saint Laurent, participait également à la soirée.
Une telle fête ne pouvait être celle de l’oligarchie sans que le monde de la politique y soit représenté. Les rigueurs de l’hiver n’ont pas empêché Mme Simone Veil, MM. Bruno Lemaire (Union pour un mouvement populaire), Laurent Fabius (Parti socialiste), François Bayrou (Mouvement démocrate) et Hubert Védrine (ancien ministre des affaires étrangères qui avait commandé à Bernard-Henri Lévy un rapport sur l’Afghanistan) de rejoindre leurs amis à Saint-Germain-des-Prés.
Extrait de « L’imposture de Bernard-Henri Lévy » dans « le Monde diplomatique »