« Gentrification (de gentry : petite noblesse) : tendance à l’embourgeoisement d’un quartier populaire ». Étudié pour la première fois à Londres dans les années 1960, le phénomène de gentrification se constate à présent dans toutes les grandes villes : des groupes sociaux aisés investissent petit à petit un quartier, ouvrant des commerces, s’installant dans les habitations, faisant au final flamber les prix de l’immobilier, forçant les plus modestes à déménager. Ainsi, à Paris, le quartier du Marais, populaire au début du XXe siècle, est aujourd’hui l’un des quartiers aux loyers les plus élevés.
En ce début de XXIe siècle, le « gentrificateur » type n’est plus le bobo (bourgeois-bohème), mais le hipster, terme anglo-américain né dans les années 1940 pour désigner les jeunes blancs amateurs de jazz qui fréquentaient les musiciens afro-américains. Aujourd’hui, le hipster est généralement un jeune de classe moyenne-supérieure, sans enfant, travaillant souvent dans la communication ou la publicité, accro aux produits high-tech dernier cri, aux sorties, revendiquant une culture personnelle, et surtout, ne se qualifiant jamais lui-même de hipster. Il arbore bonnet et barbe, vêtements faussement négligés, a son propre langage truffé d’anglicisme, se déplace à vélo, ouvre des boutiques de cupcakes sans gluten, cherche à vivre des expériences culturelles (au restaurant, à un concert…), et fréquente d’autres hipsters dans des lieux de hipsters.
Paris et sa banlieue ne sont pas les seuls à souffrir de ce phénomène : rares sont les villes échappant à cette gentrification, quel que soit le pays. "Le modèle brooklynien s’est diffusé grâce à l’hyper-rapidité des médias modernes, mais aussi grâce à la démocratisation du voyage", pointe Sharon Zukin (professeur de sociologie au Brooklyn College).
Paradoxe, la « communauté » hipster, créée de toutes pièces par le monde moderne (comme toutes les autres communautés artificielles), est condamnée à mourir par lui : les médias branchés annoncent d’ores et déjà la mort du hipster, remplacé par le yuccie (néologisme inspiré par Young Urban Creative, soit jeune créatif urbain). Des jeunes urbains issus de milieux aisés, persuadés qu’ils méritent d’aller au bout de leur rêve et qu’ils doivent en tirer profit. En gros : être un artiste et avoir une carte Gold. Qu’on les appelle hipster, yuccie, ou autre nom qui apparaîtra plus tard sous la plume d’un journaliste branché, ses nouvelles communautés qui remplacent les anciennes ne sont que des ersatz : les communautés authentiques, trop peu malléables, sont détruites par le Capital, qui en crée d’autres par l’argent, artificielles, et facilement manipulables.