Cela fait plusieurs semaines que le dimanche on nous annonce que la participation des gilets jaunes du samedi a été en forte baisse. Depuis le temps qu’elle l’est, elle aurait déjà dû disparaître.
Je crois que tout cela est de la propagande. Il est évident que les gilets jaunes ne vont pas manifester tous les samedis pendant 1/4 de siècle. À un moment donné, cette mobilisation va forcément s’arrêter.
Ce n’est pas comme cela qu’il faut voir les choses. Cela fait quand même quatre mois que des gens qui n’étaient pas, pour la plupart, des personnes engagées dans la vie politique et dont les moyens d’existence ne sont pas extraordinaires, manifestent samedi après samedi. Nous avons atteint un sommet extraordinaire. Il est clair que les chiffres donnés par la préfecture de police sont des chiffres révisés à la baisse, comme cela a toujours été le cas. On peut les multiplier par deux ou par trois. Mais la question n’est pas là. Depuis 4 mois des manifestations ont lieu malgré le froid, le gèle et la trêve des confiseurs et aujourd’hui, elles sont toujours là.
D’autre part, on constate que même si le soutien dans l’opinion est un peu retombé, on est encore au-dessus de 50 % d’opinion favorable. C’est tout à fait extraordinaire.
Il y a là quelque chose qui est vraiment remarquable et qui montre que ce mouvement n’a rien de comparable avec tout ce que nous avons pu connaître. Ce n’est bien sûr pas la répétition de février 34, pas la répétition de mai 68 et pas la répétition des grèves.
Ceux qui essaient de se rassurer en disant ‘’c’est un mouvement social, ce sont des gens qui ne sont pas contents et qui veulent qu’on augmente leur pouvoir d’achat’’ passent complètement à côté du problème.
En effet, on est dans un phénomène tout à fait nouveau qui, d’une part, permet à une catégorie de la population qu’on avait rendue invisible et qui n’est pas une catégorie minoritaire de reprendre de la visibilité et qu’on reconnaisse sa dignité. Il y a dans cette affaire une dimension véritablement existentielle.
D’autre part, ce mouvement inédit nous renvoie aux transformations plus générales du paysage politique en France et en Europe.
Des moyens extraordinaires ont été mis en œuvre. En effet, un hélicoptère tournait au-dessus de l’Élysée en attendant peut-être de devoir exfiltrer Emmanuel Macron. C’est quelque chose qu’on n’a jamais vu. Les dirigeants de la classe politique ont eu peur physiquement. Je crois qu’ils ne le pardonneront jamais. C’est pour cela que, quelle que soit la conclusion du fameux grand débat national organisé par Macron entre séminaire d’entreprise et campagne électorale, au-delà des concessions que l’on fera sur tel ou tel point, ce débat ne va rien résoudre. C’est un problème sociologique de fond.
Il y a une évolution générale de la situation qui fait que toute une catégorie d’individus, de familles et de gens, en raison de l’évolution de la vie politique et de la structure même du travail, se retrouve victime d’une triple exclusion politique, sociale et culturelle. Ils deviennent ce que Claude Lefort appelait « des hommes en trop ». Ce sont des gens dont on ne sait que faire et qui vous gênent parce que l’on voudrait gouverner sans le peuple.
Je crois qu’il y aura une période post gilets jaunes et une période avant gilets jaunes. On n’en aura pas fini. C’est là et c’est d’autant plus là que les mêmes causes reproduisent les mêmes effets. À la première occasion de grandes déflagrations qui peuvent être, soit une crise financière soit une crise politique, le mouvement va repartir de plus belle.
À mon avis, avec encore plus d’ampleur à certains égards, on pourrait dire que ce mouvement des gilets jaunes de 2018/2019 est une sorte de répétition générale.