C’est une loi qui contient de grandes régressions, mais qui est passée comme une lettre à la poste. Le 8 juillet 2025, l’Assemblée nationale a définitivement adopté, par 316 voix pour, 223 contre et 25 abstentions, la proposition de loi «visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », portée par les sénateurs Laurent Duplomb (Les Républicains) et Franck Menonville (Union centriste). Ce texte, largement coécrit par la FNSEA, a été validé sans heurts au Palais-Bourbon, après avoir franchi l’étape de la commission mixte paritaire le 30 juin, puis obtenu l’aval du Sénat le 2 juillet.
Derrière l’objectif affiché de simplifier le quotidien des agriculteurs, le texte remet en cause des garde-fous environnementaux patiemment construits depuis deux décennies.
L’article 2 de la loi introduit une possibilité de déroger à l’interdiction de certains pesticides de la famille des néonicotinoïdes. Il s’agit de l’acétamipride, du sulfoxaflor et du flupyradifurone, une dérogation très large, sans limite temporelle, et basée sur la notion floue de « menace grave compromettant la production agricole » qui n’est pas définie par le texte.
D’autre part, les vannes vont être grandes ouvertes pour la construction de nouvelles mégabassines qui sont désormais considérées comme répondant « à une Raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM). Ce qui signifie qu’elles vont pouvoir être construites dans les secteurs où se trouvent des espèces protégées.
Actuellement, tous les projets d’infrastructures doivent déposer une demande de dérogation pour porter atteinte à ces espèces protégées. Pour cela, leur projet doit répondre à une RIIPM. Or, jusqu’à aujourd’hui, les juges ne reconnaissaient pas forcément l’intérêt général de ces retenues agricoles qui ne bénéficient qu’à une minorité. Seuls 15 % des exploitants français sont des irrigants et parmi eux, seul 1 % d’entre eux sera connecté aux mégabassines. Ils cultivent en grande partie des céréales destinées à l’exportation.
Quelle solution restera-t-il aux opposants pour freiner cet accaparement de l’eau ? La solution viendra peut-être de l’intérieur : la Coopérative de l’eau qui gère les mégabassines est en difficulté financière car les coûts de ces ouvrages ont explosé.
Enfin, l’élevage industriel. Alors que les petites exploitations agricoles peinent à survivre, le gouvernement encourage les fermes plus intensives. La quasi-unanimité des députés est favorable à un assouplissement des seuils des polluantes installations agricoles classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Concrètement, l’article 3 du texte de loi fait passer ces seuils d’évaluation systématique de 40 000 à 85 000 emplacements pour les élevages de volailles, de 2 000 à 3 000 emplacements pour les porcs de production (directement élevés pour leur viande) et de 750 à 900 emplacements pour les truies (utilisées pour la reproduction puis pour des produits transformés lorsqu’elles deviennent moins productives).
La loi allège la procédure d’autorisation qui était pourtant nécessaire au contrôle des élevages intensifs. Le régime ICPE, qui concerne seulement 3 % des élevages en France, permettait de contrôler les aspects négatifs de ces fermes-usines sur l’environnement. Pollution azotée, rejets d’ammoniac lors des épandages, pollution de l’air, de l’eau et du sol… Assouplir le régime ICPE aura des conséquences graves sur l’environnement, et sur la santé des personnes vivant à proximité des élevages intensifs.
Aider ces installations met aussi en danger les petits éleveurs alors que l’objectif était de leur assurer un revenu plus digne. La loi Duplomb est une stratégie de diversion qui profite aux grandes fermes capitalisées et intégrées aux filières agroalimentaires sous couvert de protéger les plus modestes.
L’article 6 de la loi Duplomb acte une évolution majeure — et inquiétante — pour la police de l’environnement. Concrètement, le texte modifie l’article L.131-9 du Code de l’environnement : les agents de l’OFB contribuent désormais à leurs missions « sous l’autorité du représentant de l’État dans le département » (le préfet, donc) pour la police administrative, et « sous la direction du procureur » pour les affaires judiciaires. Surtout, le préfet se voit confier le pouvoir d’approuver la programmation annuelle des contrôles, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors.
Cette réforme entérine « un droit de veto des préfets » sur les priorités de terrain. Demain, un préfet proche de certains lobbies agricoles ou industriels pourra orienter les contrôles, voire en bloquer certains.

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