Je vais chez le médecin mais ce n’est plus comme avant, disons dans les années quarante. Avant, je me rendais chez le médecin que fréquentait la majorité de ma famille. Et d’ailleurs parfois, aujourd’hui encore, dans une administration, on me demande :
-Quel est votre médecin de famille ?
A quoi, désormais, inévitablement, je réponds :
-Je n’ai pas de famille.
Et l’incident est clos, après quelques secondes d’inquiétude tout de même, que je lis dans les yeux de mon interlocuteur.
Aux murs de la salle d’attente, aujourd’hui sont affichés des circulaires, des renseignements concernant la Sécurité sociale, les nécessités des vaccinations, les mises en garde contre le sida, voire des adresses de nutritionnistes. Parfois, en banlieue parisienne, des incitations au silence sont devenues impératives.
Les clients, surtout les plus jeunes, parlent fort, chahutent comme à l’école. Ce ne sont certainement pas des malades.
Le médecin lui-même, par son attitude faussement scientifique, jette un doute sur la qualité de ses études. Il dispose du même bureau métallique que les secrétaires de n’importe quelle autre entreprise.
Autrefois, on entrait chez le médecin comme dans un temple. On s’asseyait sur des sièges en vieux cuir, dans une ambiance de recueillement. On entendait presque les clients souffrir. C’étaient de vrais malades, qui ne chahutaient pas.
Le cabinet du médecin, protégé par des portes à deux battants, recouvertes de cuir également, présentait une bibliothèque, où dormaient de très anciens préceptes, parfois rédigés en grec ou en latin. Le médecin exposait également l’œuvre des encyclopédistes en 20 volumes et des gravures des siècles passés. Son bureau en bois précieux tenait du tabernacle et quand il rédigeait son ordonnance, son stylo grinçait très légèrement. Ensuite, il nous présentait une feuille sacrée, couverte de hiéroglyphes, que, seul, le pharmacien savait décrypter.
Le médecin lui-même se déplaçait avec lenteur. Il se levait et sa prestance le plaçait au-dessus des êtres ordinaires, qui n’étaient que des clients.
C’était un homme de l’art.
L’art, autrefois, en effet, guérissait.
Aujourd’hui, j’évite les cabinets médicaux mais j’ai la chance de fréquenter un médecin qui a décoré sa salle d’attente avec des images représentant des travaux agricoles du début du 20ème siècle : des javeleuses, des moissonneuses-lieuses tirées par des chevaux, des tracteurs de la première génération.
Et il me semble que c’est à cause de ces évocations champêtres que je sors de chez lui, sinon guéri, du moins ragaillardi.