Un jour, un jour viendra où son siècle repentant mettra à sa vraie place l’auteur de tant de chefs-d’œuvre qui resteront dans les mémoires et sur les lèvres.
Guy Béart ne chantera plus. En public. « La voix est bonne, la tête est bonne. Mais le corps, on n’en parle plus ». C’’est lui-même qui l’a dit, l’autre soir, et qui a aussitôt prouvé le contraire sur la scène de l’Olympia, quatre heures durant, devant une salle archi comble, à deux mille amis, deux mille fidèles, deux mille inconditionnels qui connaissent par cœur et ont repris en chœur avec lui l’air et les paroles des soixante chansons qu’il a interprétées, avec une prédilection de happy few pour les plus confidentielles.
Béart n’avait plus donné de concert depuis 1999. Celui-ci devrait être le dernier. On n’entendra donc plus en « live », comme dit Pascale Clark, qui a oublié, comme tant d’autres, qu’en France il n’est pas encore interdit de parler français, cette voix haut perchée, à la fois fragile et assurée, faible et forte, chaude et froide, traversée d’une invisible fêlure, et entre toutes reconnaissable.
Jongleur de mots et de notes, auteur, compositeur et interprète, aussi conscient de son talent et de son niveau que pouvait l’être le grand Corneille – « Je sais ce que je vaux et crois ce qu’on m’en dit » – quelle malédiction, quelle fatalité ont fait que Guy Béart n’aura pas été mis de son vivant sur le même pied et le même piédestal que celui où leurs admirateurs ont installé Brassens, Brel, Ferrat et Ferré, les Quatre Grands de la chanson française dans la deuxième moitié du XXe siècle ? A l’image des quelques artistes inconscients qui ont lourdement payé et pour certains paient encore leur engagement inconsidéré auprès de Nicolas Sarkozy, Béart a incontestablement pâti, après la mort de Georges Pompidou, de sa trop grande proximité avec celui-ci. Mais sa plus grande faute, sur le long terme, est dans son fichu caractère, dans le choix qu’il a toujours fait, aussi bien dans sa vie personnelle que dans sa vie professionnelle, de ne jamais chanter en meute, de suivre son chemin en toute liberté, en toute indépendance, dans une orgueilleuse solitude peuplée d’amis et d’amies chers, mais loin des promoteurs, des promotions, des majors, des Téléthons, des défilés et des grand-messes de l’artistiquement correct.