Commençons donc par nous instruire ! C’est aujourd’hui le 1er avril 2011. Forcément vous vous êtes renseignés et vous savez qu’à l’origine l’année commençait le premier avril. Hélas, d’autres érudits vous disent que l’année commençait le 25 mars. Forcément vous êtes inquiets. « Alors on m’a raconté des histoires à la mords moi le nœud » vous dites-vous, si vous êtes grossiers. Si vous êtes bien élevés, vous réagissez plus élégamment : « Alors, on m’a menti ? ». Si vous êtes encore plus soucieux de beau langage, vous murmurez : « Alors, l’on m’aurait caché la vérité ? » Ceci pour vous montrer la difficulté d’écrire et il y a des possibilités considérables de varier le style, c’est d’ailleurs tout ce qui fait le charme de l’écriture, ce qui révèle la personnalité d’un écrivain. Si c’est un très grand écrivain, il est bien possible qu’il affine son style au fur et à mesure qu’il rédige ses différents ouvrages. Mon exemple favori c’est Louis Ferdinand Céline. Son premier livre, « le Voyage au bout de la nuit » est qualifié de « populaire », parfois « argotique ». Dès le second, il introduit les phrases très courtes avec des points de suspension. Le public est dérouté, mais Céline ne ment pas, il poursuit son chemin sans tenir compte des réactions des critiques. Il suit son idée, triture la langue française, invente des néologismes, bouscule la syntaxe, trafique les mots et ça donne des résultats stupéfiants. Par exemple, un titre : « D’un château l’autre ». Beaucoup de lecteurs corrigent et rajoutent la préposition : « D’un château à l’autre ». Ils ont tort, ils ont « corrigé » ce qui était une invention stylistique. Sans la préposition, on a l’impression qu’il y a beaucoup plus de châteaux et que tout va plus vite. A quoi s’ajoute l’idée d’une grande pagaille. Je prends un autre exemple, qui va vous plaire : « beaucoup de vaseline, encore plus de patience, Eléphant encugule fourmi ». Céline aurait pu dire « encule », comme tout le monde, mais étant donné la disproportion entre les deux protagonistes, la quasi impossibilité de l’accouplement, il invente un terme qui souligne l’extrême difficulté de l’entreprise, en dépit de la vaseline et de la patience.
Or, je soutiens que Céline ne ment pas, puisqu’il écrit en artiste. Et la parole artistique n’a pas pour but de faire simplement passer un message, elle se veut également l’expression de la beauté, de l’originalité. Céline écrit pour que ce soit beau, selon sa conception à lui de la beauté.
Si j’aborde ce sujet, ce n’est pas du tout par hasard. Parce que si l’on transmet seulement une information, il faut la donner telle qu’elle est. Et justement, l’information actuelle est truquée non seulement par les images mais par les mots, les gestes, les mimiques. Elle est mensongère et ce mensonge s’apprend de façon systématique par le « Brain coaching », expression qui peut se traduire par « entraîneur cérébral ».
Ainsi, tous les zigotos plus ou moins sinistres que vous voyez à la télé ont été formatés par ce système et c’est la raison pour laquelle vous ne les comprenez pas. Rassurez-vous ils ne se comprennent pas entre eux, et d’ailleurs il n’y a rien à comprendre. Il s’agit essentiellement d’en « mettre plein la vue ».
Retenons cependant quelques uns des procédés employés. Ils visent tous à la complexité du propos, rendu inaudible, incompréhensible, par, en premier lieu, l’emploi de paroles inutiles, et la confiscation de cette même parole par les intervenants les « mieux » formatés. On utilise abondamment les « lieux communs », ce que Gustave Flaubert appelait « Les idées reçues ». Deux exemples, très simples : « les temps sont durs » en premier lieu, ce qui sous-entend que les politiques travaillent énormément pour faire face à des situations exceptionnelles. Les temps, en 2011, sont bien plus durs qu’en 2010, et pourtant en 2010, ils étaient déjà plus durs qu’en 2009 et l’on peut remonter comme ça très loin.
L’utilisation du pléonasme se pratique de façon permanente et l’on n’y prête même plus attention. Ainsi en est-il du « projet d’avenir ». On imagine mal un projet pour le passé…Si l’on souhaite produire un effet plus fort, il faudra dire « solutionner », car résoudre serait trop simple. Il en va de même avec « finaliser », indispensable assurément puisqu’on ne disposait que de « finir » ou « achever ». Le « paradigme » fera merveille alors qu’on avait déjà le « modèle », que tout le monde comprend. Et je n’insiste pas sur les euphémismes qui visent à atténuer une impression désagréable : le technicien de surface remplace depuis longtemps le balayeur, comme si balayer était déshonorant, mais la caissière a définitivement disparu, emportée par « l’hôtesse de caisse », beaucoup plus prestigieuse à cause d’aventures supposées dans les hauteurs, bien que son salaire n’ait pas suivi la même ascension vertigineuse !
Autre mensonge généralisé, la vogue du « polar », genre littéraire estimable, sans plus, mais présenté comme le meilleur. Il offre le considérable avantage de nous plonger en permanence dans un monde où la police, l’univers judiciaire constituent la quasi-totalité des problèmes de l’heure. Il permet par la même occasion de compléter le « fait divers crapuleux », qui laisse supposer que les hommes sont constamment animés du désir de voler, de violer, ou de tuer, ce qui justifie la prolifération des forces de police.
Et c’est ainsi qu’on se retrouve dans cette France concentrationnaire où les vrais criminels sont au pouvoir et où les travailleurs sont exploités à longueur d’années par des menteurs professionnels, formatés pour que nous ne comprenions jamais. Le poisson d’avril est permanent !