On ne s’en rend pas suffisamment compte parce que la plupart se terrent, sournoisement, dans des palais bien protégés, où ils se font servir par des esclaves, mais les vieux deviennent de plus en plus nombreux, et bien peu ont la décence de disparaître jeunes, ce qui éviterait le vieillissement de la population. Les vieux sont ingrats ! Il est urgent de prendre des mesures radicales contre ce scandale des Palais de Vieux, qui sont chauffés en hiver et refroidis à Rungis durant les périodes caniculaires !
Combien sont-ils d’abord ? On n’en sait rien, car il est impossible de procéder à un recensement, tellement les halls d’entrées de leurs Palaces sont bien gardés par des vieux voyous qui refusent de laisser pénétrer même leurs jeunes enfants, des garnements de 70 ans qui ne sont pas finauds et vous estourbiraient d’un coup de béquille !
Sont-ils utiles seulement ? Oui, parce qu’ils permettent aux rédacteurs de remplir une page complète des journaux locaux : le Carnet, ou Avis nécrologiques. D’ailleurs certains font l’effort de mourir plusieurs fois !
Ainsi, une personnalité de l’Indre est-elle décédée 32 fois si j’en juge par les 32 annonces d’invitation aux obsèques. (à propos des obsèques, on sera attentif à l’orthographe, car une petite faute et on arrive aux zobs secs, expression qui manque de dignité !)
D’autres vieux « s’éteignent », et leurs descendants font un effort poétique important, par cette comparaison qui les montre comme des rescapés du temps des bougies, voire de la lampe à huile ! D’autres enfin sont « rappelés à Dieu ». Espérons qu’on leur fournit une petite carte ou un GPS, parce que les installations célestes sont immenses et difficiles d’accès. Et les panneaux indicateurs sont rédigés en hébreu ancien !
La vraie question cependant reste là : que font-ils durant les 20 ou 30 années passées dans ces lieux enchanteurs où ils expriment leur sagesse par l’élevage des plantes vertes avec lesquelles ils finissent par se confondre ? Les plus lubriques d’entre eux font semblant de ne pouvoir plus se déplacer, à seule fin d’être reconduits par des hôtesses court vêtues et fort avenantes, qu’ils appellent des infirmières.
Tu parles !
Ils leur glissent la main entre les cuisses avec une avidité révoltante, et ils ont vite fait de trouver l’endroit stratégique où ils pourront réchauffer leurs doigts gourds qu’ils dégourdissent ainsi par des moyens que la morale réprouve.
Salauds de vieux !
Sans compter que certains parviennent à s’échapper ! Je vous fais le récit d’une expérience vécue. Comme je traversais le bourg de Ménétréols sous Vatan, dans l’Indre, un endroit paisible, une sorte de station verte sauf que l’hiver les orties sont secs, ratatinés, et c’est beaucoup moins touristique, j’avise, événement exceptionnel, un être vaguement humain, qui ouvrait les pans de son manteau devant la cour de l’école, et il avait également la braguette ouverte. Je ne voudrais pas laisser mes contemporains souffrir dans leur solitude. J’amorce donc la conversation :
-« Qu’est-ce que vous faites ty don en par devant c’t’endroit ?
La réponse fuse avec vigueur :
-« J’attendons les p’tits n’enfants des écoles, c’est une vieille traditions par cheux nous cheux les sages qui transmettont l’savouer » !
(Je conserve le langage du crû, que l’on appelle « vernaculaire », dans les universités, et non pas, comme certains mauvais esprits se complaisent à le dire : « vernenculaire » !)
Je l’ai mis au parfum, comme dit la mère Bettencourt, autrement dit je l’ai rencardé comme on disait du temps de Michel Audiard.
-«Vous n’êtes donc pointe au courant, vieux barde des temps révolus ? l’Ecole al’est farmée, mon yeu… Vous trouverez pas une seule petite fille ni aucun autre petit n’enfant… »
Il n’en revenait pas, l’Ancien ! Enfin je veux dire l’Aîné, le Senior, c’est pas le vocabulaire qui manque quand on veut humilier les pauvres et les mecs qu’on a mis au rebut, à la décharge publique. J’ai ajouté que c’était fini l’Ecole, les cahiers, les porte-plumes, la table de multiplication, l’histoire de France…, que maintenant on avait le « Regroupement pédagogique » et le « Ramassage » et les Professeurs des Ecoles, qui étaient chargés de ne rien apprendre, surtout pas un mot sur l’histoire…
Le vieux a regagné son Palais des Vieux à lui, qui porte le doux nom de « Paradis des Vieux Rossignols ». On lui a rebranché ses douze transfusions pour lui remonter le moral, et on lui a dit : « Où vous êtes, là, dans le lit, immobilisé, vous avez quinze ans encore à passer. Ca s’appelle l’espérance de vie ! Vous en avez de la chance ! »
Le récit que je viens de vous faire, ça s’appelle un apologue, c’est un genre de fable, sauf que c’est la réalité. Remarquez, on leur fait même des petits spectacles, par exemple, je vous l’ai dit la semaine dernière, à Châtillon sur Indre, Mr Sarkozy est venu jouer une petite saynète, ça s’intitulait : « Comment abrutir les pauvres ». Il revient, du côté de la Châtre, à Saint Amand Montrond, peut-être avec la Boutin, pour interpréter une fable de sa composition : « Le Roquet et le Bouc en rut ».
Comment ça se dit, déjà, en hébreu, « prendre les gens pour des cons ? »